Mais qui décide des bonnes pratiques ?
Les entreprises y vont de leurs rapports sociaux et environnementaux, de leurs codes de bonne conduite et autres chartes d’entreprise. Elles se lancent généreusement dans des campagnes de communication à destination de leurs actuels ou potentiels actionnaires, consommateurs et employés. Elles financent même des agences chargées de les jauger, de les comparer et de noter leur performance en termes de responsabilité sociétale [1].
Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres et la RSE (responsabilité sociale des entreprises) se conçoit pour les entreprises généralement avant tout comme un avantage concurrentiel (certes, grâce à la pression des consommateurs et de la société civile). Il existe certainement des démarches transversales, authentiques et discrètes. Cependant, trop souvent, les mesures concrètes prises sont cloisonnées et correspondent simplement au respect des législations en vigueur. Elles ont au moins l’intérêt d’introduire davantage de contraintes quant au respect de l’environnement et des droits sociaux, et de susciter des réflexions et changements de comportements dans l’entreprise. Mais remet-on en cause les paradis fiscaux, havre pour les évasions fiscales en tout genre et plate-forme de blanchiment pour la criminalité financière internationale ? Remet-on en cause les phénoménales dépenses de marketing et de communication dont le principal but est de susciter de nouveaux besoins et de nous faire acheter toujours plus ? Remet-on en cause l’objectif ultraprioritaire de rentabilité à court-terme pour les entreprises, appelant à toujours plus comprimer les coûts et gonfler les profits des actionnaires ?
Et les consommateurs ?
Culpabilisés et sur-responsabilisés, les consommateurs sont invités à modifier d’urgence leurs modes de consommation, à consommer moins pour la planète tout en maintenant leur niveau de consommation pour attester du « moral des ménages » et faire marcher l’économie. On leur conseille de veiller aux conditions de production des articles qu’ils achètent sans se préoccuper de la façon dont ils arrivent jusqu’à eux, de s’en tenir aux labels, à leur consommation d’eau et d’énergie, etc.
Il y a là une contradiction majeure qui renvoie à notre modèle de société et dont les consommateurs - et néanmoins citoyens - devraient s’emparer d’urgence. Leur responsabilité est réelle et leur pouvoir considérable s’ils veulent bien aller jusqu’au bout de la démarche.
Et le gouvernement ?
Il établit une stratégie du développement durable et lance une semaine du développement durable, initiative louable incitant à sensibiliser de toutes parts. Mais dans son dossier presse, il parle de pratiques de consommation « raisonnées » (comment ne pas faire directement le lien avec l’agriculture raisonnée ?) et fait la part belle aux entreprises et tout particulièrement à la grande distribution, présentant de façon indifférenciée les actions des entreprises privées, des collectivités locales, des services publics et de quelques associations. Tandis que se confirment le gel et la suppression de nombreuses subventions aux associations et la remise en cause de contrats aidés, les entreprises bénéficient ainsi d’une communication institutionnelle et d’un soutien sans comparaison. Un magazine du groupe Bayard Presse est partenaire media officiel à côté de France Televisions et de Radio France (« Un tiré à part de 4 pages, imprimé à 150 000 exemplaires est diffusé dans les écoles primaires sur toute la France par le réseau de déléguées Bayard Jeunesse »).
Revenons aux consommateurs. Leur action peut-elle se limiter à des gestes plus responsables ? Les institutions peuvent-elles se contenter d’éduquer, sensibiliser, mobiliser, inciter à des actions concrètes dont elles auront déterminé le bien fondé ? Non, bien entendu. Les consommateurs, pour être réellement partie prenante de ces enjeux phénoménaux, doivent s’emparer des sujets de fond, chercher à comprendre et se former un jugement éclairé pour mieux agir, dans leur quotidien mais aussi peser en tant que citoyens dans les décisions à prendre au niveau politique. C’est tout l’enjeu du développement durable.
C’est aussi le but des conférences de citoyens dont la dernière en date, sur les changements climatiques, avait produit un résultat remarquable. C’est pourquoi la Commission française pour le Développement durable (CFDD), commission consultative chargée d’éclairer les pouvoirs publics français en matière de développement durable, avait choisi comme derniers thèmes de travail d’organiser des conférences de citoyens sur les aides à l’agriculture et sur l’énergie. Ils ont été jugés inopportuns ou inutiles par le Secrétariat d’Etat au développement durable. Aussi, le président (Jacques Testart) et la majorité des membres de cette Commission ont décidé de cesser leurs activités en son sein. Après le débat faussé sur l’énergie - les décisions ayant déjà été prises par le gouvernement avant-même le début des conférences, voilà qui augure mal du sens donné au terme « participation des citoyens ».