Par Roland Desbordes (CRiiRAD), Thierry Folliard et Véronique Gallais (Action Consommation) pour le Collectif français contre l’irradiation des aliments.
Biocontact, numéro 202, mai 2010.
Constitué en 2004 et regroupant de nombreuses associations, le Collectif contre l’Irradiation des Aliments a pour objectif d’obtenir l’interdiction du procédé d’irradiation des aliments, et à ce jour de maintenir la pression sur les pouvoirs publics afin que la loi imposant l’étiquetage, ainsi qu’un contrôle et un suivi rigoureux des tonnages d’aliments irradiés, soit strictement appliquée et que la législation évolue. Nous résumons ici la conférence-débat organisée par le Collectif le 26/11/2009 à la Mairie du 2ème arrondissement de Paris, avec la participation, outre les auteurs de cet article, de Guy Kastler (Nature&Progrès) et Hervé Le Meur (OGM Dangers).
Origines et perspectives
Le Collectif a souhaité tout particulièrement dénoncer la détermination d’instances spécifiques au sein même des Nations Unies, à imposer depuis 60 ans une utilisation civile de l’atome, et le développement de technologies nucléaires dans le domaine de l’alimentation et de l’agriculture.
Après un accord en 1959 entre l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique), où l’OMS perdait son indépendance en matière de risque nucléaire, ce processus de rapprochement entre les institutions internationales aboutissait en 1964 à la création d’une division mixte AIEA/FAO (Food and Agriculture Organization, Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture), dont l’objectif est de développer l’application des techniques nucléaires à l’agriculture pour « assurer aux peuples une alimentation plus saine et abondante tout en ménageant les ressources naturelles ».
Après le mythe de « l’énergie nucléaire, propre et gratuite », puis celui de « l’énergie nucléaire comme solution à l’effet de serre », voilà que l’on nous sert maintenant le mythe du « nucléaire comme solution à la faim dans le monde » ! (1)
C’est dans ce contexte qu’ont été développées les deux techniques que nous dénonçons ici :
La technique d’irradiation des aliments par irradiation
La mutation de semences induite par irradiation :
Concernant l’irradiation des aliments, ce sont les directives 1999/2/CE et 1999/3/CE du 22/02/1999 qui réglementent l’irradiation des aliments dans les Etats membres de la Communauté Européenne. A ce jour, les denrées autorisées à l’irradiation en France sont les herbes aromatiques surgelées ou séchées, les épices, les condiments, les légumes et fruits secs, les flocons et germes de céréales destinés à des produits laitiers, les aulx, oignons et échalotes, les viandes de volailles, les cuisses de grenouille congelées, les crevettes surgelées ou congelées, la gomme arabique, la caséine et les caséinates, le blanc d’œuf, la farine de riz et les produits sanguins. Le Comité Scientifique de l’Alimentation Humaine (CSAH) – avant la création de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) - a de son côté émis un avis favorable concernant plus de 30 produits dont tous les fruits, les légumes, les poissons et les coquillages. Des listes sensiblement différentes existent suivant les pays, mais la circulation des produits est libre au sein de l’Union et l’usage de l’irradiation des aliments est même encouragé par l’organisation Mondiale de la Santé (OMS). Les quantités commercialisées à ce jour ne sont pas chiffrées officiellement.
Au niveau international, la norme du Codex Alimentarius révisée en 2003 [1] établit que « la dose maximale absorbée pour une denrée alimentaire ne doit pas être supérieure à 10 kGy, sauf si cela est nécessaire pour obtenir un résultat technologique légitime » (sans définir ce dernier), ouvrant de fait la porte à un usage de l’irradiation sans limitation de dose. De nombreux pays autorisent l’irradiation pour une vaste gamme de produits alimentaires, voire tous.
Les semences mutées par irradiation ayant fait l’objet de développements sont principalement un riz destiné à pousser en milieu salin, ainsi qu’un orge censé résister à une culture en altitude. Mais de nombreuses autres espèces végétales ont fait l’objet d’expérimentations par irradiation des semences (blé, maïs…), toujours dans une même optique productiviste d’augmenter les rendements, en prétendant adapter les plantes à un environnement difficile. C’est une autre façon d’imposer aux consommateurs des Organismes Génétiquement Modifiés sous le prétexte que cette nouvelle génération d’OGMs n’aurait pas de matériel génétique étranger incorporé à son génome. Mais en stressant ces graines par un bombardement de rayons ionisants, on modifie de manière irréversible le capital génétique de ces plantes en créant des mutants. De plus, ces mutations forcées sont très difficilement détectables.
Rôle et effets de l’irradiation sur les aliments
L’irradiation des aliments est une technique de traitement par rayons gamma ou par faisceaux d’électrons. Elle est officiellement appelée « ionisation » (ou par certains industriels frauduleusement « pasteurisation à froid ») pour édulcorer l’expression et masquer l’utilisation de sources radioactives. Cette technique consiste le plus souvent à bombarder les aliments avec des rayons gamma à une dose moyenne absorbée de 10 kGray (± 50 %), ce qui signifie que certains aliments d’un même lot peuvent supporter une dose de 5 à 15 kGray… Il faut savoir que la dose généralement mortelle pour un organisme vivant est de 1 Gray, soit 10 000 fois moins. Autant dire que les aliments irradiés sont biologiquement quasiment morts.
Dès 1961, une analyse sanguine réalisée sur des rats nourris avec des aliments irradiés mettait en évidence des anomalies sanguines. Et en 1969, une étude sur des souris nourries avec 50 % de farine fortement irradiée (50 kGray) a mis en évidence des tumeurs et des altérations chromosomiques (2).
D’après une analyse datant de 2000, l’irradiation des aliments détruirait jusqu’à 80% de la vitamine A des œufs, et 48% du Béta carotène contenu dans le jus d’orange (3). De plus, l’irradiation des aliments génère des radicaux libres hautement réactifs qui se combinent très rapidement pour former des molécules néoformées telles que les cyclobutanones, en particulier dans les corps gras. Ces éléments sont potentiellement génotoxiques et cancérigènes (4), comme l’a montré une étude réalisée en 2001 par une équipe de chercheurs franco-allemande. Certaines de ces molécules sont ainsi des promoteurs du cancer du colon chez le rat (5).
En Australie, un nombre significatif de troubles neurologiques et de décès ont récemment été constatés chez des chats nourris avec des aliments fortement irradiés (à 60 kGray), ce qui a entraîné le retrait par le gouvernement australien de l’obligation de traitement par cette technique des aliments pour chiens et chats transformés à des températures inférieures à 90°C. A l’origine de ces pathologies, une atteinte de la gaine de myéline, entourant les nerfs (6). Sans plus d’éléments scientifiques à ce jour, ces constatations montrent néanmoins que les questions posées par les consommateurs méritent d’être mieux prises en considération.
Plus récemment, le 26/09/2007, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) émettait des réserves sur les risques liés à l’utilisation des matériaux plastiques destinés au contact alimentaire et dont les produits de radiolyse pourraient éventuellement migrer dans les aliments et recommandait des recherches ad hoc sur les matériaux concernés avant homologation. Or, aucune décision réglementaire ne semble avoir été prise.
Enfin, il faut signaler, en pratique, le peu de contrôles effectués sur les produits importés et les difficultés techniques de contrôle des produits irradiés.
Codex alimentarius et HACCP : des normes internationales au service d’intérêts économiques
Le programme mixte FAO/OMS instituait en 1963 la Commission du Codex Alimentarius chargée d’établir les normes alimentaires, c’est-à-dire de déterminer ce que l’assiette des consommateurs était en droit de contenir. Cette commission compte actuellement 182 pays membres, représentant presque la totalité de la population mondiale (7), les pays membres devant ensuite transposer les normes établies dans leur réglementation locale. Le Codex Alimentarius, au fonctionnement pourtant opaque, est devenu la référence pour l’OMC et les différends entre pays concernant le commerce international de produits alimentaires.
Le coeœur du problème qui nous intéresse ici, comme dans d’autres dossiers, est la normalisation de l’irradiation des aliments par le Codex Alimentarius. Après avoir été traité par le Comité du Codex sur les additifs alimentaires et les contaminants (CCFAC), l’irradiation des aliments est transférée à partir de 2003, après la révision de la norme sur les aliments irradiés, au Comité du Codex sur l’hygiène alimentaire (CCFH). L’irradiation des aliments figure ainsi parmi les moyens pouvant être utilisés avec le système HACCP [2] (Hazard Analysis Critical Control Point ou « analyse des risques – points critiques pour leur maîtrise ») pour réduire le niveau des organismes pathogènes. Ce système préventif de contrôle sanitaire des aliments en 7 principes et 12 étapes, préconisé pour harmoniser les pratiques, se répand dans le monde entier par le biais des réglementations, y compris pour les petits opérateurs. Il est fondé sur l’analyse des dangers (biologiques, chimiques, physiques) et la détermination des points critiques pour leur maîtrise. Dans l’Union européenne, le « Paquet hygiène » (en vigueur depuis le 1er janvier 2006) consacre cette nouvelle approche par la mise en place généralisée de procédures basées sur les principes de l’HACCP. Cette orientation traduit de fait une dérive hygiéniste de la normalisation, qui fait le jeu des multinationales de l’agroalimentaire et favorise les échanges internationaux de produits alimentaires.
Cette situation est inacceptable pour les citoyens et les consommateurs car elle indique une tendance, sinon une réalité, de contrôles à la discrétion des entreprises et de non-transparence pour les consommateurs, qui ouvre la voie aux doutes et aux rumeurs, sinon à des fraudes difficilement détectables [3]
Quels moyens pour lutter contre ces dérives ?
Face au risque de développement de cette technologie, les consommateurs sont invités à la plus grande vigilance lors de l’achat d’aliments susceptibles de faire partie de la liste des produits autorisés à l’irradiation : repérer la mention, souvent en petits caractères, « traité par ionisation » ou « traité par rayonnements ionisants ». Le logo radura ci-dessous peut quelquefois figurer, mais il n’est pas obligatoire en France ni dans l’UE.
Enfin, il est possible de s’informer auprès du Collectif ou de ses membres et de lire l’ouvrage édité en 2008 chez Golias sous la direction du Collectif (« Aliments irradiés – atome, malbouffe et mondialisation »), Chacun peut aussi contribuer en soutenant les actions du Collectif (voir site internet), en questionnant ses fournisseurs, en informant autour de soi et en achetant de préférence des produits locaux et biologiques, sachant que les normes de l’agriculture biologique interdisent le recours à ce procédé. En effet, la remise de 11 750 signatures de la pétition le 15 décembre 2009 au secrétariat d’Etat chargé du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme, des Services et de la Consommation, semble laisser indifférent le ministère. A chacun-e donc de se mobiliser pour éviter un usage de plus en plus répandu de cette technologie dans notre alimentation.
Roland Desbordes, (physicien, Président de la CRII-RAD), Thierry Folliard (ingénieur, naturopathe) et Véronique Gallais (socio-économiste, administratrice d’Action Consommation), pour le Collectif français contre l’irradiation des aliments dont les membres sont : Action Consommation, Adéquations, Agir Pour l’Environnement, Les Amis de la Terre, Association Léo Lagrange pour la Défense des Consommateurs, Association pour l’Information sur la Dénaturation des Aliments et de la Santé (AIDAS), ATTAC, Biocoop, Collectifs Bure-Stop, La Confédération Paysanne, CRiiRAD, Ecoforum, Ekwo, Fédération Nature et Progrès, Food and Water Watch Europe, Mouvement pour les Droits et le Respect des Générations Futures (MDRGF), RECit (Réseau des écoles de citoyens), Réseau "Sortir du nucléaire".
notes :
(1) Communiqué de presse de l’AIEA, AFP, Vienne, 2 décembre 2008
(2) Rapport d’un comité mixte FAO/OMS/AIEA d’experts, OMS, série de rapports techniques n°451, « Salubrité des aliments irradiés, en particulier le blé, la pomme de terre et les oignons », Genève 1970.
(3) FDA Memorandum, from Kim Morehouse, Ph.D. to William Trotter. April 11, 2000. Voir aussi : Diehl J.F. " Combined effects of irradiation, storage and cooking on the vitamin E and vitamin B1 level of foods." Presented at the 33 rd Annual Meeting of American Institute of Nutrition, 1969.
(4) Delincée, H. and Pool-zobel,B. " Genotoxic properties of 2-dodecylcyclobutanone, a compound formed on irradiation of food containing fat." Radiation Physics and Chemistry, 52:39-42, 1998. (Co-sponsored by the International Consultative Group on Food Irradiation.)
(5) Burnouf D, Delincée H, Hartwig A, Marchioni E, Miesch M, Raul F, Werner D (2001). “Etude toxicologique transfrontalière destinée à évaluer le risque encouru lors de la consommation d’aliments gras ionisés”.
(6) Muhlenfeld P., Champion Petfoods Ltd., “Orijen Catfood, Australia”, updated 28/11/2008
(7) www.codexalimentarius.net
[1] Norme générale Codex pour les denrées alimentaires irradiées, Codex Stan 106-1983, Rev 1-2003
[2] « Code d’usages international recommandé – Principes généraux d’hygiène alimentaire », CAC/RCP 1-1969, RÉV. 4 (2003)
[3] voir aussi notre dossier du 27.11.2009 accessible en ligne