L’entrepreneuriat social, un mouvement de pensée inscrit dans le capitalisme

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L'entrepreneuriat social, un mouvement de pensée inscrit dans le capitalisme

La conception portée par le Mouves (mouvement des entrepreneurs sociaux) est présente à peu près partout dans le monde. Dans de nombreux pays, des mouvements comparables sont d’ores et déjà organisés ou sont en passe de l’être.
L’économie sociale (ES) que nous considérons comme « classique » est, comme on le sait, en réalité une conception d’origine française partagée partiellement chez quelques uns de nos plus proches voisins.

Comment s’articulent ES et entrepreneuriat social ?
Pour répondre à cette question, il faut distinguer clairement les entreprises sociales – de forme associative, coopérative ou de statuts classiques ‑ de l’entrepreneuriat social.
Au-delà de leur choix statutaire, les pratiques des entreprises sociales sont généralement proches des principes de l’économie sociale.A l’inverse, l’entrepreneuriat social est un mouvement de pensée, et en tant que tel, difficilement compatible avec l’économie sociale.
C’est sur l’entrepreneuriat social que porte ce texte. Pourquoi ?
Nous souhaitons attirer l’attention sur le fait que l’entrepreneuriat social, projet politique issu de la philanthropie, cherche à se surimposer aux entreprises sociales et plus largement aux associations et aux coopératives.

1. Pour mémoire : le cadre conceptuel de l’économie sociale en 5 propositions

La finalité de l’économie sociale est l’émancipation de tous.

Elle vise cette finalité en s’efforçant de produire au quotidien une économie a-capitaliste. L’ensemble des initiatives qu’elle mène en ce sens constitue un mouvement social articulant des pensées et des pratiques originales qui se nourrissent réciproquement.

Les entreprises d’économie sociale sont détenues par des groupements de personnes.

Les bénéficiaires de leur action sont aussi sociétaires, selon le principe de la double qualité : les populations qui constituent les bénéficiaires de l’entreprise ‑ clients, usagers, consommateurs ou travailleurs ‑ sont également ses adhérents, associés, sociétaires. La double qualité permet au travailleur de doubler sa qualité de salarié de celle de co-entrepreneur et au consommateur de considérer les biens et services non seulement comme des marchandises mais également comme des produits de la nature et du travail.

Ces termes, émancipation, économie a-capitaliste, mouvement social, groupement de personnes, double qualité, constituent à la fois une réalité et un horizon : ils peuvent être mis en œuvre de multiples manières, dans des cadres plus ou moins contraints, dans des contextes plus ou moins favorables et, conséquemment, de façon plus ou moins aboutie.

2. Pour mémoire encore : l’échec de l’économie sociale en tant que mouvement

Si l’on met face à face ce cadre théorique et l’organisation de l’économie sociale française, on a du mal à faire le lien. Soyons clairs quitte à simplifier abusivement : il n’y a pas un véritable mouvement de l’économie sociale.

Sur le terrain, les associations, les coopératives se développent rapidement dans de nombreux secteurs d’activités. De nouvelles formes innovantes voient le jour (les CAE, les Scic, les Amap, etc.) comme des innovations d’économie sociale (c’est-à-dire en lien avec le cadre théorique de l’économie sociale) se multiplient dans des petites et grandes entreprises, dans des partenariats avec les collectivités publiques, des PME, etc.

Il existe également des fédérations et des organisations de ces groupements de personnes participant à des instances représentatives de l’économie sociale. Des mouvements associatifs, coopératifs, mutualistes, de même que des organisations d’économie sociale, comme les Cres, sont très actifs et leur rôle est essentiel y compris pour « faire mouvement ». Mais il n’y a pas de mouvement proprement dit national ou international des personnes regroupées dans l’économie sociale. Comment comprendre ce hiatus ? Il faut étudier comment a vécu l’économie sociale depuis les années 70 et s’interroger sur les conditions de réalisation d’un mouvement à venir.

Cet échec est grave dans la mesure où il risque de fragiliser les groupements de personnes eux-mêmes qui se sont, au fil du temps, identifiées à l’économie sociale. Il provoque également un manque qui empêche l’émergence d’un discours clair répondant aux aspirations de la société civile. Ce manque est d’autant plus ressenti qu’il intervient au moment où, en lien avec de nouvelles attentes économiques, sociales, culturelles et environnementales, se multiplient les pratiques innovantes en phase avec les principes de l’économie sociale. C’est dans ce manque, et en premier lieu le manque de communication, que se bâtit le mouvement des entrepreneurs sociaux.

3. L’entrepreuriat social : un mouvement de pensée issu de la philanthropie

« La force de changement la plus puissante, c’est une idée nouvelle entre les mains d’un vrai entrepreneur » (Olivier Kayser, Dirigeant d’Ashoka France, 2007).

Comme l’indique Olivier Kayser, l’entrepreneuriat social est une idée, un projet politique, comme l’était aussi l’économie sociale au moment de son émergence. L’économie sociale propose de regrouper dans un même ensemble des groupements de personnes partageant une certaine conception de l’économie. L’entrepreneuriat social est une nouvelle proposition qui tente de saisir un ensemble d’entreprises, ou plus exactement, plusieurs ensembles d’entreprises, qui lui préexistent. Il est essentiel d’avoir à l’esprit que l’entrepreneuriat social n’est pas un ensemble de pratiques (comme le sont les entreprises sociales, les associations, les coopératives, etc.) : c’est un courant de pensée.

Aucune manière de voir, ni aucune classification n’existe indépendamment d’un objectif, d’une hypothèse. La question est donc autant de savoir « qu’est-ce que l’entreprise sociale ? » que « qu’est-ce l’entrepreneuriat social comme mouvement ? Quel est son projet ? D’où vient-il ? Qui sont ses promoteurs ? La question, c’est aussi, « pourquoi maintenant ? ».

Comme l’a bien décrit Hugues Sibille, le mouvement de l’entrepreneuriat social est né aux Etats-Unis : « La Social Enterprise Initiative est lancée en 1993 par la Harvard Business School et de grandes fondations qui mettent sur pied des programmes de soutien aux entrepreneurs sociaux. Ainsi Bill Drayton, ancien ministre de Jimmy Carter, lance-t-il Ashoka […] Bill Drayton s’appuie d’emblée sur les savoir faire des grandes entreprises (via Mac Kinsey) et veut soutenir les projets à fort effet de levier […] Dans une période plus récente, l’émergence aux Etats-Unis du concept de Venture Philanthropie, renforce et renouvelle l’intérêt pour les entrepreneurs sociaux. Ils abordent l’entrepreneuriat social avec les méthodes issues du capital risque et mettent l’accent sur le retour social sur investissement (SROI) » (H. Sibille, 2009, p.279).

Cette conception est née au sein des fondations des grandes entreprises américaines. Faisant le lien entre les grandes entreprises et les populations bénéficiaires des fondations, elle consiste à appliquer les méthodes de la grande entreprise dans les activités sociales que ces fondations soutiennent (C.W. Letts, W. Ryan, A. Grossman, 1997). Cette proposition ne doit pas grand-chose aux entrepreneurs sociaux, qui existent indépendamment d’elle, avec leurs propres dynamiques. Par contre, les entrepreneurs sociaux l’intéressent.

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