Consommation « engagée », « responsable », « citoyenne », « consumérisme politique », etc. : autant de termes qui tournent autour de la notion plus communément adoptée de « consommation durable ». Cette dernière peut constituer une forme d’oxymore que nous souhaitions contourner : comment en effet consommer durablement ? Difficile à envisager si l’on s’en tient au sens étymologique : achever, accomplir, détruire par l’usage…
Ceci étant posé, la question de fond demeure identique : dans quelle mesure les consommateurs peuvent-ils agir de manière responsable (durable donc) sur les marchés à travers leurs actes d’achat ? « Voter avec son porte-monnaie » en somme, c’est-à-dire saisir le marché comme un lieu d’action politique. Une tendance très prisée à l’heure où les usages politiques se renouvellent dans un mouvement de réappropriation individuelle et où, dans la sphère de la consommation, les préoccupations éthiques, sociales ou environnementales montent en puissance. À cet égard, les succès de l’agriculture biologique ou du commerce équitable par exemple constituent les preuves tangibles que les consommateurs sont de plus en plus attentifs au lien entre les produits qu’ils achètent et les enjeux attachés aux lieux et conditions de leur production.
Pour dénoncer la société de consommation et en finir avec ses effets néfastes, des options plus radicales sont proposées : simplicité volontaire, frugalité, décroissance, etc. La consommation engagée, elle, constitue une voie médiane, réformiste au sein du système : elle ne conteste pas fondamentalement l’existence du marché et pense qu’il est possible, en pesant sur lui, de transformer la société pour la rendre plus juste socialement et moins prédatrice vis-à-vis de l’environnement.
L’idée d’un usage politique de la consommation est très ancienne. Au XVIIIe siècle par exemple, avec le boycott des Américains contre les produits des colons anglais, le marché est envisagé comme un espace de construction identitaire et citoyenne pour une nation en quête d’indépendance. Au tournant des XIXe et XXe siècles, la consommation a été utilisée par des acteurs qui s’intéressaient à la responsabilité individuelle et sociale des consommateurs dans la mise en place du capitalisme occidental (les Consumers’ Leagues américaines, les ligues d’acheteurs européennes, etc.). La mobilisation des consommateurs est alors un moyen pour revendiquer l’acquisition de nouveaux droits (les femmes, par exemple, acquièrent par le marché un statut citoyen que la société, en leur refusant le droit de vote, leur déniait) ou pour construire une solidarité à distance avec d’autres groupes sociaux (le monde ouvrier et ses conditions de travail indignes notamment).
Cette forme d’engagement politique qui se perpétue dans des formes alternatives de consommation soulève immédiatement la question de l’équité : disposons-nous tous du même pouvoir d’infléchir les lois du marché ? Ou quand le pouvoir de transformation est indexé au pouvoir d’achat…
De même, le principe d’une responsabilisation des « consom’acteurs » (une surresponsabilisation ?) par l’intégration de nouveaux devoirs citoyens face aux enjeux globaux, pose un problème d’articulation des rôles : le consommateur est-il soluble dans le citoyen ? >lire p. 42 Car la consommation, aussi engagée soitelle, répond d’abord à une offre et, en ce sens, valide une proposition faite par le marché. Des ambiguïtés de l’immixtion de l’engagement politique dans la sphère de l’économie…