Planète ESS - Et pendant ce temps, en France...

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Planète ESS - Et pendant ce temps, en France...

Pour un retour, au moins partiel, dans ma mère patrie, après 30 ans d’aventures espagnoles et méditerranéennes, je suis servi ! Chaud devant, dans l’ESS française . Manifestes, tribunes, opinions, posts se multiplient autour de l’affaire MI(L)F, que Timothée Duverger qualifie improprement de « tempête dans un verre d’eau ». Tempête il y a. Mais même si l’ESS cultive encore bien souvent des réflexes claniques et microcosmiques, on parle d’un peu plus que d’un verre d’eau. Au moins une mare -avec ses inévitables pavés-, voire une méga-bassine.

Comme dans tout débat, il y a des sincérités, des opportunismes, des trajectoires, des intérêts, des ambitions, des interférences, des alliances objectives ou subjectives, éphémères ou durables. Tout cela est plus ou moins noble, plus ou moins crédible, plus ou moins conditionné par des postures et garde-fous. C’est in fine un débat éminemment politique, truffé de sous-entendus et d’arrière-pensées, et c’est très bien ainsi : l’ESS est une économie politique et ne s’autorise pas si souvent des déballages de cette ampleur. Il y a des carpes, des lapins, plein d’autres espèces encore, c’est une ode à la biodiversité et c’est tout aussi heureux : l’ESS revendique cette biodiversité, y compris économique. Interviennent des gens que j’estime et qui s’égarent à l’occasion, d’autres que j’estime moins et qui disent des choses censées, la plupart sont dans leur rôle, d’autres à contre-emploi, c’est appréciable et vivant : l’ESS est une économie humaine, avec les avantages et les inconvénients de la nature
humaine, il est important qu’elle le reste.

J’observe, scrute et épie l’économie sociale française depuis près de 40 ans, dont 30 donc depuis « l’étranger ». Ce n’est « que » l’ESS française, et ses bouillonnements sporadiques n’intéressent fondamentalement qu’elle-même. Mais c’est quand-même l’ESS française, celle de Charles Gide et de Michel Rocard (pour faire simple), celle aussi d’Albert Thomas. Elle n’est pas avare de vraies inspirations, le cas échéant de vrais débats qui la dépassent très largement. C’est avec cet œil Planet’ESS que je la regarde et que je la pratique aujourd’hui, en mer et en montagne.

Jérôme Saddier, président d’ESS France, a récemment exprimé sur les réseaux sociaux un avis imagé, selon lequel, je cite approximativement, « pour s’engager dans des batailles entre puristes il faut avoir le cul propre ». C’est un angle d’attaque tout-à-fait pertinent. L’ESS prône volontiers la vertu et la morale, elle se prétend souvent exemplaire, la netteté des postérieurs de chacun.e a donc son importance. Des contradicteurs ciblent par exemple, de façon très précise, la question des rémunérations de certains dirigeants de l’ESS, sujet latent depuis de (trop) nombreuses années. Il y a, c’est un fait, une ESS des riches (banquiers, mutualistes, les
« grands comptes » de façon générale), une autre des pauvres ou nettement moins riches. Et chez les prospères, ce n’est malheureusement pas qu’une question de dirigeants : on achète ou garde volontiers du médiocre à des tarifs incompréhensibles, c’était tout au moins le cas « à mon époque ».

J’ai observé -et dénoncé alors de l’intérieur- les premières dérives en la matière d’une
mutuelle autrefois exemplaire et aujourd’hui sous le feu des projecteurs, la MAIF. En
connaisseur, je date très précisément le début de sa dérive de 1988. Ma dénonciation, ainsi que de quelques perversions collatérales, de 1993, ce qui ne nous rajeunit pas. Et je reste probablement le seul cadre sup mutualiste à s’être alors volontairement réduit son salaire, en profitant subrepticement de mon autonomie comme patron de filiale étrangère (évidemment SA) : cette prise de distance avec la nouvelle doxa fut certainement la seule qui ne pouvait être tolérée. Je n’ai de ce fait aucun grief particulier contre son DG actuel, Pascal Demurger, dont la rémunération extravagante est dans la droite ligne à la fois d’une spirale inflationniste initiée plus de dix ans avant son recrutement (élus compris), et de la reddition du politique qui en est une conséquence directe et assumée. Si en revanche l’on élargit la perspective, le sujet n’a rien d’anecdotique : le principal facteur de désagrégation sociale est le creusement des inégalités, dans l’ESS comme ailleurs, en France comme partout, et force est de constater que le néo-libéralisme a fait, sur ce plan, pas mal d’émules dans la Famille.
Quand la soupe est bonne, il est si difficile d’y renoncer...

Les pourfendeurs d’inégalités seraient-ils pour autant des modèles de vertu ? C’est
improbable. La création du Mouves naît d’une convergence. D’un côté, une nouvelle vague d’entrepreneurs de terrain, coopératifs ou associatifs, y voit une occasion de secouer le cocotier des baronnies ancrées dans leurs privilèges et leurs inerties ; ils sont accompagnés de quelques consultants à l’affût de nouveaux marchés. De l’autre, le futur Commandant Sylvestre de la Social World Company, le Groupe SOS de Jean-Marc Borello, soft power d’un pouvoir macronien à venir. Celui-ci prend alors grand soin de se démarquer de l’ESS et de ses momies : parmi les savoureuses contributions des derniers jours -il y en a aussi !-, quelqu’un évoquait avec malice les « carrières longues ». Social Business Initiative à Bruxelles en novembre 2011, Loi Hamon à Paris en juillet 2014, ce sont deux victoires difficilement discutables pour l’entrepreneuriat social et le Dividende devient solidaire. Nicolas Hazard, SOS d’origine, promouvra ensuite l’Impact et son ex-patron est aujourd’hui devenu -ONU oblige- le héraut le plus offensif à l’international de cette « économie de la paix et la coopération » que
d’autres pratiquent, tout autrement, depuis un moment. Le « canal historique », évidemment, ne réagit que fort tard, et encore : l’inculture française, lorsqu’il est question de « l’étranger », n’épargne pas une ESS si peu internationaliste.

Après les premières échauffourées de ce printemps, beaucoup semblent en appeler, par fatigue, adhésion ou suivisme, au Grand Rassemblement -après le Grand Déballage-, selon le refrain bien connu du « ce qui nous unit est plus important que ce qui nous sépare ». Ce refrain est celui des entrismes agissants et des inerties vieillissantes. Au risque de me faire quelques ennemis, y compris parmi mes amis, je suis au contraire convaincu que ledit déballage peut et doit se permettre le risque du Grand Eclatement, avant bien sûr la Grande Refondation (pour le Grand Pardon, il sera toujours temps de voir ensuite). Il est beaucoup trop tôt pour remettre la poussière sous le tapis, en attendant la prochaine tempête, dans cinq ou dix ans. Et le temps « perdu » aujourd’hui sera gagné, pour l’ensemble de la Planète ESS, s’il est utilement employé. Il n’est pas certain que nous en prenions le chemin.

Ma voix n’ayant aucune importance, je serai l’un des rares à ne pas appeler à la création d’un nouveau mouvement, collectif ou rassemblement. Dussé-je le faire d’ailleurs, je militerais sans doute pour un peu engageant GICP (Groupement International des Culs Propres), m’astreignant préalablement à un autodiagnostic complet. La procédure d’adhésion serait largement inspirée de méthodologies canines -nul besoin de label !- et, sur fond d’inévitables régressions scatologiques, permettrait de définir un nouveau chemin de liberté, égalité et fraternité en ligne avec les valeurs républicaines fièrement arborées par le manifeste d’ESS France de décembre 2021.

L’ESS, ce sont des sociétés de personnes vs. des sociétés de capital, point. Une économie de l’autogestion qui prône par l’exemple, sans faux-semblants ni contournements, ces valeurs républicaines, point. Qui marie, pour accompagner l’évolution des temps, justice sociale et justice environnementale, point. Sans rivages ni frontières, points de suspension. Le reste relève de la maltraitance animale, en l’occurrence celle des mouches.

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