La Cour administrative d’appel de Nantes confirme la lourde responsabilité de l’Etat dans le développement des marées vertes qui affectent de manière croissante le littoral breton depuis trente ans. Réaction de FNE.
Un arrêt stigmatisant les carences substantielles de l’Etat depuis 25 ans
La Cour administrative d’appel de Nantes, réunie en formation renforcée, a rendu un arrêt confirmant sans grande surprise la responsabilité de l’Etat dans le développement des pollutions diffuses d’origine agricole qui ont généré l’intense pollution des eaux bretonnes. Le ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et ... de la mer avait dans la plus grande confusion – et trop tardivement – tenté de se désister de son appel quelques heures avant l’audience, le 3 novembre dernier, admettant ainsi enfin la responsabilité de l’Etat dans ce dossier.
Raymond Léost, administrateur responsable des actions juridiques de FNE, et président des Amis des chemins de ronde du littoral breton déclare : « la décision est cinglante pour l’Etat, après les multiples condamnations de la justice européenne pour violation manifeste des directives européennes sur la protection de l’environnement signées par la France qui demeurent encore aujourd’hui partiellement inappliquées en région Bretagne ».
Camille Rigaud, Président d’Eau et Rivières de Bretagne, ajoute : « Cette décision de justice est une grande victoire pour toutes les associations de protection de l’environnement, et notamment pour Eau & Rivières de Bretagne, dont le rôle d’alerte des pouvoirs publics et de contre-pouvoir indispensable aux équilibres démocratiques est enfin reconnue à sa juste valeur. Le gouvernement, fidèle à la volonté de rupture présidentielle, doit désormais réformer en profondeur le « modèle agricole breton », ruineux pour les agriculteurs comme pour la collectivité, et instaurer enfin la réduction du cheptel breton, seule mesure de bon sens conforme à l’intérêt général. »
Les marées vertes, le produit des pollutions diffuses d’origine agricole
Ainsi que l’a établi le conseil scientifique breton de l’environnement, reprenant notamment les travaux d’IFREMER, « les apports azotés des bassins versants bretons se faisant majoritairement sous forme de nitrate issu du lessivage des terres agricoles, on peut donc considérer que le nitrate d’origine agricole est l’élément nutritif qui contrôle l’intensité des marées vertes de Bretagne » qui résultent de 3 facteurs : « 1) des flux d’azote importants ; 2) un estran étendu et plat ; 3) un confinement hydrodynamique des eaux côtières ».
Outre la responsabilité de l’État, celle de tous ceux qui ont proposé, enseigné, développé, encouragé, soutenu le développement démesuré, déséquilibré et absolument non durable du modèle agricole breton, apparaît également engagée : l’État, les responsables de la profession agricole, les élus locaux et nationaux, sans oublier banques, grands groupes coopératifs et industriels de l’agroalimentaire. Un système économique agricole qui a conduit à la perte de la relation ancestrale au sol et produit une concentration toujours plus grande des cheptels et des déjections associées, entraînant l’élimination drastique de nombre d’exploitations et d’exploitants, un système agricole qui ne profite pas aux éleveurs mais aux seuls groupes agro-industriels.
Pour Jean-François PIQUOT, porte-parole d’Eau & Rivières de Bretagne, « En 40 ans, la Bretagne, région pauvre de bocage et de polyculture-élevage est devenue la plus grande usine française de production animale (on y recense 60% des cochons, 60% des oeufs, 45% des volailles, 25% des vaches laitières, 30% des gros bovins) sur moins de 5% de la SAU nationale. Une telle concentration animale n’est pas soutenable ! »
Pour Bernard Rousseau, administrateur responsable des politiques de l’eau à FNE : « Après la politique de fermeture des captages d’alimentation en eau potable pour cause de pollution des eaux par l’agriculture intensive, l’Etat va-t-il annoncer la fermeture des plages bretonnes pour la même raison ? ». Il précise : « Aucune décision curative de court terme, comme celles mises en œuvre depuis plusieurs décennies, notamment avec le soutien de l’Agence de l’eau Loire Bretagne, n’est de nature à régler le problème. La fuite en avant actuelle a généré des investissements publics – de l’ordre au moins du milliard d’euros – aussi lourds qu’inefficaces, ainsi que l’ont dénoncé la Cour des Comptes en 2001, et plus de 30 rapports publics réalisés sur le sujet depuis les années 80 ».
Quel plan d’action gouvernemental de lutte contre les algues vertes ?
Tous les gouvernements depuis 30 ans ont joué la « politique de l’autruche », comme l’a courageusement admis récemment Chantal Jouanno. Le 8 décembre, les inspecteurs généraux rendront leur rapport au 1er ministre afin de déterminer des propositions de plan d’action destinées à lutter contre les algues vertes. Le 15 octobre 2009, après avoir adopté un SDAGE où le problème des marées vertes est traité à minima, le comité de bassin Loire-Bretagne, y compris ses représentants agricoles, a voté une motion attirant « l’attention des pouvoirs publics sur les décisions politiques fondamentales » qu’appelle une telle situation…. Après les sommes fabuleuses dépensées en vain, un peu légère, l’arme de la motion !
Pour Jean-Claude Bévillard, Secrétaire National de FNE, chargé des questions agricoles : « En Bretagne, comme ailleurs, il faut s’engager vers une agriculture à Haute Valeur Environnementale, qui ne soit pas tributaire des importations de soja mais liée au terroir. C’est toute une économie régionale (agriculture mais aussi industrie agro-alimentaire et distribution) qui est à reconvertir. France Nature Environnement demande une concertation de l’ensemble des acteurs pour jeter les bases d’une nouvelle politique agricole en Bretagne. »
Thierry Dereux, Président de Côtes d’Armor Nature Environnement et administrateur de FNE conclut : « Il faut aider les agriculteurs à réorienter en profondeur leurs activités, dans une perspective de désindustrialisation des productions animales ». Il ajoute : « A l’heure de la réforme des politiques européennes et nationales de l’agriculture, l’expérience bretonne doit être analysée lucidement, notamment par les « libéraux » opposés à toute régulation, qui semblent aujourd’hui dominer les débats européens. Les impasses sanitaires, sociales et environnementales d’une politique agricole dominée par « le marché » frappent de plein fouet la Bretagne et les Bretons : disparition de milliers d’exploitations agricoles indispensables à une agriculture de qualité, concentration industrielle de productions alimentaires de faible qualité, pollution diffuses sanitaires et environnementales à grande échelle quasiment irréversible à court terme… ».
Plus que jamais, il est temps pour l’Etat de passer enfin des discours aux actes !