Au coeur de l’expérience associative, le contrat passé entre associés n’implique pas nécessairement de s’engager dans une activité économique. Pourtant, la réalisation des objectifs amène nombre d’entre elles à produire les services qui concourent à leur atteinte ou qui dégagent les moyens financiers qui peuvent être réinvestis dans ce but.
De son côté, l’économie sociale est depuis plus d’un siècle le creuset de projets de cette nature où l’on « entreprend autrement » et pour d’autres raisons que le profit.
« Entreprendre autrement »
Qu’il s’agisse de travailleurs voulant exercer leur métier de manière autonome, de consommateurs à la recherche d’un meilleure qualité au moindre coût, d’épargnants qui entendent donner du sens à leurs investissements ou de producteurs cherchant à écouler leur production il s’agit à chaque fois d’une entreprise contribuant à l’émancipation des personnes qui sont associées.
Le vocable « économie sociale » a déjà été utilisé au XIXe siècle pour qualifier un grand nombre d’innovations sociales. Henri Desroches, universitaire le suggère aux mouvements coopératif, mutualiste et associatif suivant ainsi la proposition de l’économiste Charles Gide au début du XXe siècle.
La réussite de ces initiatives, au départ de petite taille, a été surprenante. Banques coopératives, Assurances mutuelles, mutualité occupent aujourd’hui une place importante dans certains secteurs où s’exerce une forte compétition.
Les associations dans les domaines culturel, sportif, sanitaire ou social sont devenues des partenaires indispensables dans la mise en oeuvre de nombreuses politiques publiques. Tirées d’un côté vers l’administration, engagées de l’autre dans des pratiques concurrentiel-les, les entreprises d’économie sociale se sont parfois écartées de leurs principes fondateurs.
L’économie solidaire
Simultanément, le contexte durable d’une économie de récession, né dans les années 70, pousse des acteurs militants à innover dans le domaine des activités d’insertion, de la construction de services de proximité et de développement local.
Facteurs de liens sociaux et vecteurs de cohésion territoriale, ces nouvelles initiatives vont se reconnaître dans l’idée d’« économie solidaire » promue par Jean-Louis Laville. Cependant, ils poursuivent la longue tradition des actions collectives de solidarité et d’émancipation. C’est pourquoi, il peut être justifié de parler d’économie sociale et solidaire (ESS).
Un phénomène international
Si le concept d’économie sociale renaît en France et au Québec, des réalités très voisines existent dans les autres pays avec des vocables différents (tiers secteur, non for profit, économie populaire, etc.) Chaque vocable reflète une orientation principale différente mais les principes sont souvent communs.
En Europe, la plupart des ont fait évoluer leur législation pour favoriser ce type d’initiatives : coopérative sociale en Italie, société à finalité sociale en Belgique, coopérative d’initiative sociale en Espagne et même community Interest Company au Royaume-Uni, etc. En 2006, l’Union Européenne s’est mise en mouvement avec le statut de société coopérative européenne mais elle tarde à reconnaître la spécificité du fait mutualiste et associatif.
Ces retards s’expliquent par les stratégies de tous ceux qui voient d’un mauvais oeil l’existence d’une telle faculté d’entrepreneuriat collectif, source de progrès sociaux et de liberté.
Un enjeu : la place de l’ESS
Si les louanges ne manquent guère pour féliciter les citoyens qui s’associent pour retisser du lien social et soulager les personnes exclues par un système dominé par des logiques financières, la place assignée à l’ESS se réduit pour beaucoup à ce que entreprises lucratives et pouvoirs publics ne veulent ou ne peuvent pas faire. Ce cantonnement dans une économie pour les pauvres est évidemment un piège qui interdit d’envisager des transformations sociales plus profondes plus respectueuses des personnes et plus équitables.
En réalité, tout le monde ne reconnaît pas encore le fait que nous vivons dans une économie plurielle où à côté de l’économie capitaliste, coexistent, une économie artisanal-le, une économie publique et domestique et bien sûr, l’ESS.
Les associations employeurs qui sont davantage engagées que les autres dans l’économie sont majoritaires dans de nombreux domaines (culture, éducation, loisirs, hébergement de personnes âgées ou handicapées, aide à domicile, santé, insertion par l’activité économique, etc.). Elles partagent alors des problèmes de gestion, d’arbitrages économiques et d’orientation de leur activité qui ressemblent par de nombreux aspects à ceux des mutuelles ou des coopératives.
Non soumises aux impératifs de la logique financière qui anime les entreprises lucratives, les associations peuvent prendre en compte une logique politique et développer une logique de responsabilité. Ainsi, elles font la démonstration que les projets économiques peuvent conjuguer sens des valeurs et efficacité tout en favorisant l’ex-pression des personnes. Mais ces équilibres fragiles supposent tou-jours une conscience en éveil.
Henry NOGUES, professeur d’économie, membre de la FONDA
Source : IERF, CDC, Université de Nantes