La question de la solidarité est souvent appréhendée comme une démarche individuelle sous la forme d’un engagement volontaire pour venir en aide à ceux qui souffrent. Elle incarne une action valorisée socialement, mais dont on aime à rappeler le caractère électif : « Solidaire, oui, mais seulement si je veux... » Les défenseurs de la pensée libérale classique, qui se méfient depuis toujours d’un Etat social bureaucratique gouverné par une administration jugée contraignante, ne peuvent qu’encourager ces formes spontanées et souvent généreuses de la solidarité privée. Ils sont relayés par tous ceux qui aujourd’hui déplorent une culture de la déresponsabilisation individuelle et vont, dans certains cas, jusqu’à dénoncer l’imposture des droits sociaux.
A l’opposé de cette conception, le solidarisme de Léon Bourgeois, tel qu’il a été pensé dès la fin du XIXe siècle, était fondé sur l’idée que la justice sociale ne peut exister entre les hommes que s’ils deviennent des associés solidaires en neutralisant ensemble les risques auxquels ils sont confrontés. La socialisation du risque qui avait ainsi pris le pas sur la notion de responsabilité individuelle apparaît aujourd’hui en recul. On assiste bien en France à une érosion du socle historique de l’Etat social. Les assurances sociales sont en réalité de moins en moins sociales. Les notions classiques d’universalité des droits, de prévention, de redistribution institutionnalisée sont peu à peu remplacées par des notions de responsabilité individuelle, de ciblage de la protection sociale, de prise en compte individuelle des besoins.