ASF a transmis aux autorités rwandaises le premier rapport semestriel analytique du monitoring des juridictions gacaca réalisé au cours de la période du 10 mars au 30 septembre 2005. ASF est attachée à la résolution équitable du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité commis dans le pays.
Ce contentieux relève, d’une part, des juridictions ordinaires (compétentes pour juger les accusés des faits et responsabilités les plus importants), et d’autre part, des juridictions gacaca (compétentes pour juger les exécutants).
Les juridictions gacaca sont des juridictions populaires, composées de juges non professionnels appelés inyangamugayo. Bénévoles élus par les rwandais, leur travail se fonde sur la participation de la population.
La phase de jugement du processus gacaca, décrite dans le rapport, a démarré le 10 mars 2005. Depuis cette date, 118 juridictions gacaca de secteur et 118 juridictions gacaca d’appel ont été appelées à juger les accusés de « deuxième catégorie » dont les dossiers avaient été instruits en phase pilote du processus qui a commencé en 2002.
Les accusés de « deuxième catégorie » constituent le plus grand nombre. Cette catégorie regroupe les auteurs d’homicides ou de tentatives d’homicides ainsi que les auteurs d’autres atteintes graves contre les personnes. Si l’intention de donner la mort est établie, ils sont passibles, en l’absence d’aveux, de peines pouvant aller jusqu’à trente ans d’emprisonnement. C’est dire combien sont lourdes les responsabilités des juges gacaca à qui incombent le jugement de ces accusés. Les juges gacaca tentent d’appliquer la justice dans des conditions extrêmement difficiles. Leur implication et leur engagement imposent souvent le respect mais leur travail se heurte cependant à d’importantes difficultés.
Au cours des six premiers mois de fonctionnement des juridictions gacaca de secteur et d’appel, ASF a suivi intégralement le déroulement de 299 audiences dans toutes les provinces du pays. Les informations recueillies ont permis à ASF d’observer la manière dont ces juridictions fonctionnent. Les principaux constats dressés sont les suivants :
la population, même si nombreuse, participe peu aux débats ;
les juges gacaca éprouvent de grandes difficultés à mener des débats véritablement contradictoires afin de dénouer le vrai du faux ;
les juges gacaca éprouvent de grandes difficultés à motiver leurs décisions, et donc à énoncer, à l’issue d’un procès, pourquoi une personne est déclarée coupable ou innocente, ou pourquoi, le cas échéant, ses aveux sont acceptés ou rejetés et, en cas de condamnation, de quels faits précis cette personne est reconnue coupable.
Ces constats amènent ASF à émettre une série de recommandations sur trois niveaux :
1. Dans le règlement du contentieux du génocide dans son ensemble, il est nécessaire de :
définir plus clairement les hauts responsables du génocide et des autres crimes contre l’humanité, à l’égard desquels les poursuites devraient s’exercer en priorité devant les tribunaux ordinaires ;
mieux prendre en compte la situation et les intérêts des victimes ;
appliquer de façon restrictive les mesures privatives de liberté ;
définir un cadre effectif pour la poursuite et la répression des auteurs de crimes de guerre.
2. Dans le volet qui a trait à la loi régissant actuellement le contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité (voir encadré), ASF souhaite :
une simplification de la définition des « catégories » ;
une révision du régime des peines qui devrait permettre aux condamnés de s’amender et de se réinsérer dans la société. A cet égard, ASF réclame l’abolition de la peine de mort ;
une refonte de l’action en révision prévue par la loi, dans le respect des principes généraux du droit.
Il s’agit de la loi organique n°16/2004 du 19 août 2004 « portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994.
3. Au niveau du travail des inyangamugayo, ASF demande :
la protection et la reconnaissance accrues des inyangamugayo ;
la formation centrée sur le débat contradictoire et la motivation des jugements.
Pour ASF, la justice du génocide et des autres crimes contre l’humanité commis au Rwanda ne pourra contribuer à une réconciliation nationale que dans la mesure où cette dernière reconnaît les victimes, condamne les coupables et réhabilite les innocents. Le respect du principe du droit à un procès équitable en est la condition.
A l’heure où la phase de jugement devrait être étendue prochainement à l’ensemble des juridictions gacaca du pays, il est essentiel de partager les analyses qui découlent du travail de monitoring mené par ASF. Leur prise en compte par les autorités rwandaises permettra d’améliorer les chances de réussite du processus gacaca en vue de l’objectif de réconciliation qui lui a été assigné.