Un retour d’expérience
Cette réflexion fait le lien entre des considérations personnelles et des valeurs citoyennes et professionnelles. J’ai dirigé pendant 15 ans des organisations œuvrant dans le recrutement, l’insertion et la formation. Je connais donc bien les politiques d’emploi et de lutte contre les discriminations, publiques et privées. Depuis plusieurs mois, je cherche du travail, assidûment. Je fais partie des 30 % de citoyens qui seront une fois dans leur carrière confrontés à cette situation. J’ai été plusieurs fois en « short list », pour des postes où je correspondais aux critères objectifs exprimés et attendus. Donc « compétent », semble-t-il. Mais dans la majorité des cas, ces recrutements ont abouti à l’embauche d’un(e) candidat(e) qui était déjà en emploi.
Le trou dans le CV, ou le syndrome du « légume moche ».
Les évaluations du coût économique et sociétal du chômage et de la perte en capital social, individuel et collectif, sont bien documentées. Mais je n’ai trouvé aucune étude publique ou privée comparant les flux d’embauche et la situation des personnes recrutées, chômeurs ou actifs. Les vingt critères légaux de la discrimination à l’embauche ignorent ce motif. Les mouvements de promotion de la diversité et autres labels Diversité n’en font pas plus mention, fondés sur les mêmes critères. Dans la récente enquête Pôle Emploi, les chômeurs eux même n’en parlent pas, paraissant l’avoir oublié ou admis tacitement. Et cependant tous les conseils en recrutement le disent : « Pas de trou dans le CV ! ». Pourtant, quelques travaux scientifiques attestent d’une discrimination larvée. S’agit-il d’une « métadiscrimination », ou d’une vingt et unième discrimination, taboue, intégrée implicitement par tous les acteurs du corps social ? En m’inspirant de cette récente campagne publicitaire qui fait la promotion des « légumes moches », j’en viens à faire une parabole du marché de l’emploi : on peut en effet envisager comme hypothèse que les recruteurs considèrent d’un œil circonspect un candidat sans travail depuis plusieurs mois. Et que leur doute augmentant proportionnellement à la durée de chômage, ils choisissent le « produit » frais, calibré, le plus conforme aux canons du marché en embauchant de préférence une personne déjà en poste. Compétent je suis, mais pas ou plus « employable ».
Le développement durable : un engagement citoyen et entrepreneurial.
Les politiques publiques et les mouvements citoyens en charge du développement durable nous incitent à penser pour agir sobrement. L’utilisation du meilleur rapport entre la ressource disponible sur un territoire et le plus faible impact environnemental, autrement dit le circuit court, fait notamment partie des axes de travail. On en trouve des applications dans l’économie circulaire, l’agriculture de proximité, les ressources partagées en services ou en produits, la production et la distribution locales d’énergie, l’insertion par l’activité économique. Les outils de mesures des économies ainsi réalisées et de la valeur ajoutée sont, dans ce domaine, précis et fiable. Ces mêmes principes vertueux conduisent de nombreuses sociétés, associations, et collectivités à s’engager dans des politiques de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), internes (emploi, qualité de vie au travail, gouvernance) ou externes (impact sur l’environnement, activités économiques responsables, implication territoriale). Là encore, il existe des labels, des réseaux d’entreprises, des formations dédiées. La RSE intègre souvent des politiques de lutte contre les discriminations, volontaristes et efficaces, au carrefour des volets internes et externes. Mais adossées aux vingt critères légaux.
Vers un circuit court de l’accès à l’emploi.
On peut comprendre la position du recruteur précédemment évoquée. Mais alors, à candidature équivalente ou très proche, quel est l’impact sur l’écosystème social et économique du choix d’un candidat déjà en emploi ? Comment évaluer, faire prendre conscience, mettre au cœur du débat, et quelles actions pour combattre cet à priori discriminant ? Comment faire la promotion d’un circuit court de l’accès et du retour à l’emploi, au croisement des politiques internes et externes de RSE, et pour l’intérêt commun ? Il s’agit de s’interroger sur les moyens d’une spirale dynamique positive et globale, qui permettrait aussi de concentrer les ressources d’appui vers les chômeurs réellement en demande.
Nous sommes tous des « légumes moches » !
Avec un peu de bon sens, d’empathie et de méthode, on peut agir. Je suis prêt à m’engager dans ce mouvement, à en être relais ou catalyseur. Je suis donc à la recherche de partenariats auprès des médias, des réseaux d’entreprises, des collectivités, des universitaires, des professionnels de l’emploi qui permettraient d’approfondir cette piste, de porter le sujet dans le débat politique et citoyen, d’outiller la formation des acteurs et enfin d’évaluer l’impact économique et social. Il s’agit aussi de soutenir, structurer et financer cette démarche, pour que le sujet ne reste pas dans l’ombre. D’ici là, vous comprendrez que je choisisse le CV anonyme, pour éviter de rester moisir au fond d’une cagette !!!
Par Merlin Voiforte
Suivez les Légumes Moches
https://www.facebook.com/pages/Merlin-Voiforte/1597238017184650?sk=timeline
https://twitter.com/MerlinVoiforte