Le 20 juin prochain s’ouvrira, à Rio de Janeiro, le 5ème Sommet de la Terre. L’Organisation des Nations-Unies, organisatrice de l’évènement, a choisi d’intituler ce rassemblement Rio+20, en référence au Sommet tenu dans cette même ville brésilienne 20 ans plus tôt ; En 1992, la Conférence des Nations-Unies sur le Développement Durable (UNCSD) avait permis à tous les Chefs d’Etat présents de s’accorder sur l’élaboration d’un programme dit Agenda 21, contenant 2 500 recommandations à suivre pour orienter l’action de l’Humain vers un développement dit durable.
Les thèmes de la Conférence des Nations-Unies sur le Développement Durable
A l’ordre du jour du Sommet de Rio+20, l’UNCSD a déterminé deux thèmes centraux autour desquels s’articuleront les débats du Sommet de Rio+20 : « l’économie verte dans le cadre du développement durable et de l’éradication de la pauvreté » et « le cadre institutionnel du développement durable ».
Le premier de ces thèmes portant sur la « green economy » a incontestablement suscité le plus de réactions et de réflexions, mais aussi de contradictions. L’économie verte a en effet mis en relief les profondes divergences de conceptions et de perspectives économiques entre des pays aux niveaux de développement très disparates. Incontestablement aussi, ce premier thème repose sur la maîtrise du changement climatique. Mais attention, l’écueil à éviter, observé dans la phase post-Rio 2012, sera de ne pas réduire les recommandations et les décisions à des considérations uniquement environnementales. Le développement durable, dont l’acception du Rapport Brundtland (1987) fait l’unanimité, se définit par « un développement qui réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ». Grâce aux Sommets de la Terre déjà tenus, la communauté internationale s’est accordée sur le fait que cet objectif de développement durable ne pourra être atteint que si les mesures entreprises sont économiquement, socialement et environnementalement viables, et régies selon des principes de bonne gouvernance.
Justement, le deuxième thème pose lui la question de l’existence d’une gouvernance mondiale et des mécanismes d’action dont elle doit se doter pour être effective et efficace. Il conviendra alors au Sommet de Rio+20 de concevoir une nouvelle architecture de la gouvernance mondiale, sans reproduire des tentatives échouées, sans démultiplier des instances déjà existantes et dont les limites apparentes doivent servir de dissuasion à recréer ces modèles. Pour que celle-ci soit réelle, pour que la voix de chacun soit prise en compte, pour se prémunir des dérives observées jusqu’alors. Il s’agit là de repenser la conception et la réalité actuelle de la gouvernance mondiale, une gouvernance dépassant les clivages nationaux et régionaux.
L’implication de nouveaux acteurs dans le processus de décision
En 1992, l’Agenda 21 a donné lieu à la création de Major groups chargés de représenter les organisations de la société civile. Les Major Groups sont aujourd’hui au nombre de neuf : Femmes, Autorités Locales, Communauté Scientifique et Technique, Business et Industrie, Enfance et Jeunesse, Travailleurs et Syndicats, Paysans, Peuples Indigènes, ONG.
Si ces Major groups sont impliqués dans le processus de préparation du Sommet, et bénéficient ponctuellement de fenêtres de visibilité, leur rôle est limité en ce qu’il reste consultatif. Véritable troisième thème imposé de la Conférence de Rio+20, l’enjeu de Rio+20 pour les Major groups sera sans aucun doute d’obtenir un statut participatif, c’est-à-dire de pouvoir proposer des amendements au texte de la Conférence, au même titre que les représentants des Etats. Au-delà de la consultation donc, la participation effective de la société civile est sans conteste un des enjeux de la Conférence de Rio+20 et le processus de préparation du Sommet en a été le reflet. Cet enjeu participe sans conteste du deuxième thème central choisi par l’UNCSD sur la nécessité de penser et faire naître une gouvernance mondiale.
Des modes d’action pour concilier activité économique et développement durable
L’accord général sur les recommandations de l’Agenda 21 et les espoirs nés du Sommet de Rio 1992 n’ont visiblement pas produit tous les effets escomptés. Dans la recherche de cohérence entre les discours et les actes, force est de constater que d’amères contradictions sont apparues au cours de ces vingt dernières années. Ces actes, aux conséquences contraires à une conception de développement durable, sont nombreux et leurs dégâts quantifiés par nombre d’études scientifiques menées depuis lors. Déforestation, émissions de gaz à effets de serre, consommation d’énergies fossiles, déplacements de populations, exploitation de main d’oeuvre expliquent la surexploitation de la faune et de la flore, les inégalités économiques et sociales, l’uniformisation des cultures et des spécificités de territoires que nous connaissons. Et les crises qui s’en sont suivies.
Et si un autre modèle était (déjà) en marche ?
Face à ces crises multiples –économique, financière, sociale, écologique– les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) s’appliquent à saisir l’opportunité de faire connaître et reconnaître l’ESS. Amener la preuve, par l’exemple, que d’autres formes d’entreprendre conciliant efficacité économique, sociale et environnementale sont possibles. Des formes d’entreprendre qui dépassent les frontières, sans distinction de ressources, de richesses, de niveaux de développement, de cultures.
L’Economie Sociale et Solidaire est, de fait, déjà ancrée dans le paysage économique de nombreux pays -elle représente aujourd’hui environ de 10% du PIB mondial-, elle existe sur tous les continents, sous différentes formes. Mais comment lui faire changer d’échelle et mettre en valeur sa capacité à s’inscrire dans une dynamique transfrontière ? En cette période charnière, quels enjeux
l’ESS doit-elle relever pour exister au-delà des frontières ?
L’ESS transfrontière et transcontinentale
Parce que les valeurs et les méthodes de l’Economie Sociale et Solidaire reposent sur des principes universels, l’ESS porte en elle la capacité de fédérer des acteurs de tous les continents. De fait, l’ESS transfrontière existe déjà. En 2004 a été créé le Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire (FIDESS), association française de loi 1901 du nom des Rencontres du Mont-Blanc (RMB-FIDESS). Rassemblant des dirigeants du monde entier -40 pays représentés lors des dernières rencontres de 2011- les RMB participent de cette ESS transcontinentale. Les forums organisés régulièrement visent à faire se rencontrer des dirigeants de l’ESS de tous les continents pour co-construire des projets aussi divers que les semences libres ou le développement de la filière biogaz.
Au-delà de cette véritable « Project place », les membres des RMB sont conscients de la nécessaire reconnaissance de l’ESS pour la voir se développer et ainsi rendre accessibles à tous des formes d’entrepreneuriats alternatifs. C’est pourquoi figure parmi les principales activités des RMB la sensibilisation des organisations internationales et des hauts-dirigeants du monde. Par une présence humble mais persévérante à quelques-uns des grands rassemblements internationaux, les RMB-FIDESS communiquent et diffusent leurs travaux. A l’occasion de la Conférence des Nations-Unies sur le Développement Durable -Sommet de Rio+20- prévue en Juin 2012, une lettre contenant 20 propositions de mesures à adopter pour promouvoir l’ESS a été adressée aux 193 Chefs d’Etats membres de l’ONU, afin de les sensibiliser simultanément sur la nécessaire prise en compte de l’ESS dans leurs politiques publiques.
Alors que le modèle dominant s’essouffle et montre ses limites, il ne s’agit plus de promettre mais de prouver. Prouver que d’autres modèles existent, capables d’opérer un déplacement : placer la dignité et le potentiel de l’Humain comme finalité de l’activité économique, qui elle n’est qu’un moyen.
Co-auteurs :
Thierry Jeantet, Président des Rencontres du Mont-Blanc – Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire, Directeur Général d’EURESA, France
Gérald Larose, administrateur des Rencontres du Mont-Blanc – Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire, Président de la Caisse d’Economie Solidaire Desjardins, Québec/Canada
Abdou Salam Fall, Professeur et chercheur à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN), Sénégal