Si peu de citoyens ont une idée précise de ce qu’est cette fameuse « gouvernance », on ne fera pas l’injure aux décideurs de penser qu’ils emploient ce terme sans discernement. Une publication récente, mais on pourrait en citer des dizaines d’autres, atteste qu’il fait partie de leur bagage sémantique ordinaire. Ainsi le Conseil d’analyse économique créé par M. Lionel Jospin vient-il de publier en anglais un ouvrage tiré d’un colloque organisé conjointement avec la Banque mondiale - un partenariat qui met déjà la puce à l’oreille -, et dont la traduction littérale du titre est Gouvernance, équité et marchés globaux (1). On voit bien dans quel champ lexical se situe le concept...
Un outil idéologique
D’UNE tout autre portée, cependant, est le « Livre blanc sur la gouvernance européenne » que la Commission de Bruxelles doit publier en juillet, au début de la présidence belge de l’Union, en vue de le faire adopter par le Conseil européen de Bruxelles, en décembre prochain. Si tel était le cas, ce texte aurait de formidables implications, puisqu’il ne s’agit rien moins que de revoir « l’ensemble des règles, des procédures et des pratiques qui affectent la façon dont les pouvoirs sont exercés à l’échelle européenne », et ce dans une démarche qui « occupe la zone intermédiaire entre le plus tout à fait administratif et le pas encore constitutionnel ». D’ores et déjà, ce que l’on sait des discussions donne à penser qu’il s’agit bien d’une remise en question radicale des formes actuelles - et constitutionnelles - de la démocratie représentative et d’une véritable privatisation de la décision publique. Et pendant ce temps-là, les Parlements nationaux, évidemment exclus de la préparation d’un document qui a vocation à les mettre au rancart, vaquent à leurs occupations ordinaires...