A l’heure où la France hésite toujours et face aux contre-vérités émises par une partie du monde de la pêche professionnelle pour empêcher une inscription du thon rouge à la CITES [1], le WWF-France s’étonne de l’interprétation qui est faite des avis scientifiques émis par des organisations internationales [2] pourtant par nature réticentes à des classements à la CITES. Deux avis récents sont en effet venus renforcer et légitimer l’engagement de Nicolas Sarkozy du 2 juillet dernier d’un classement à la CITES. Ils sont publics. « Aussi il serait totalement incompréhensible que la parole présidentielle ne soit pas tenue. Que certains ne veuillent pas reconnaître la pertinence de ces avis peut se comprendre, mais que les autorités françaises, et plus particulièrement le ministère de la Pêche, les remettent en cause serait proprement stupéfiant » prévient Serge Orru, directeur général du WWF-France.
D’un point de vue économique, c’est tout aussi incompréhensible. Les armateurs de la vingtaine de thonier senneurs, sur les 5 000 bateaux que compte la pêche française, savent que c’est fini car l’espèce est proche de l’extinction. De toute façon leur activité qui, à l’inverse de la pêche artisanale, a un coût de production élevé, ne sera très prochainement plus rentable en raison de la baisse des quotas alourdie par les pénalités dues aux dépassements français de 2007.
« Le gouvernement va donc de toute façon devoir affronter la fin de la pêche industrielle du thon rouge. Alors pourquoi ne pas le faire en sortant de la situation par le haut, c’est-à-dire en sauvant à la fois l’espèce et la petite pêche par une interdiction temporaire du commerce international ? Pourquoi perdre sur les deux tableaux, pêcheurs et biodiversité, quand on peut être gagnant sur les deux ? » s’interroge Charles Braine, chargé de programme pêche durable au WWF-France.
En effet, les écosystèmes marins sont fragiles et leur fonctionnement peu connu. A la fin des années 80s, à Terre-Neuve, alors que scientifiques et environnementalistes annonçaient l’effondrement du stock de cabillaud, les autorités décidèrent de poursuivre la pêche. Les derniers spécimens se concentrant et les pêcheurs allant là où il y avait encore du poisson, ils en voyaient forcément toujours : c’est cette illusion d’abondance qui a retardé la prise de décision. Le stock s’est effondré quelques années plus tard et, malgré le moratoire décidé en 1991, il ne s’est toujours pas reconstitué, à la grande surprise des scientifiques qui étudient toujours le phénomène.
« Nous encourageons donc Bruno Le Maire à entrer dans le XXIè siècle et à devenir le ministre de l’Alimentation, de Agriculture et de la Pêche… durables », en conclut Jean-Stéphane Devisse, directeur des Programmes du WWF-France.
Le Président de la République s’était engagé dans son discours prononcé en clôture du Grenelle de la mer, processus de concertation réunissant toutes les parties prenantes, à soutenir « l’inscription du thon rouge à l’annexe de la convention internationale sur les espèces sauvages, pour en interdire le commerce ». L’engagement présidentiel ne saurait être tenu par une simple inscription en annexe II car elle n’interdirait pas le commerce. Nous attendons du gouvernement et du Président de la République une décision politique courageuse, un soutien de la France à la seule proposition sur la table, celle de Monaco : l’inscription du thon rouge à l’annexe I de la CITES.
[1] CITES : Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction
[2] Rapport du Comité scientifique de l’ICCAT (Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l’Atlantique) et avis du Comité consultatif de la FAO
Habitant le Pacifique Sud, nous connaissons actuellement le même processus, semble-t-il irrémédiable, qui pourrait rapidement nous conduire à une diminution proche de l’extinction.
Ce qui me heurte profondément, c’est qui si nous sommes capables, que cela soit par la persuasion ou par les amendes, d’amener nos pêcheurs (et je vais y inclure les pêcheurs de pays comme l’Italie ou l’Espagne, et dans le Pacifique, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande à limiter drastiquement ou à suspendre pendant une dizaine d’années, ou plus s’il le faut, cette pêche à la senne, comment pourrons-nous contraindre japonais et coréens qui, dans ce domaine, considèrent ne pas être concernés par le problème ?
On voit ce qu’ils pensent du problème des baleines, on voit aussi combien leur pratique de pêche est redoutablement destructrice pour toute une faune qui finit simplement rejetée à la mer.