Suite au visionnage de ces petits documentaires acides sur l’uberisation et le micro-travail produit par FranceTV et après en avoir dit deux mots en réunion de coordination vendredi, je me lance, aller, j’y vais, j’analyse. Je suis vite rejointe par Suzanne qui profite de l’occasion pour présenter en détails l’accompagnement par téléphone mis en place chez Oxalis.
Nous savons tous combien les CAE sont des espaces de droit. C’est peut-être leur plus importante raison d’être : apporter des règles là où le marché fait miroiter les vertus de la liberté. La liberté de travailler où l’on veut, dans les conditions que l’on veut, aux horaires que l’on veut et même aujourd’hui, la liberté de tomber malade. Le risque est alors une affaire individuelle, on nous exige une performance économique en nous promettant qu’elle nous apportera reconnaissance et accomplissement personnel.
Avec les nombreux questionnements que la crise actuelle (aux enjeux sanitaires inédits) fait peser sur nos situations économiques, la CAE prend un rôle en terme de protection des travailleurs que peut-être elle n’avait pas jusqu’alors conscientisé. En tant qu’entrepreneurs-salariés, nous réduisons nos libertés au point où les gérant·e·s que nous avons élus peuvent nous imposer de ne pas travailler. Ainsi, la prise de risque économique en vertu de la protection de la santé des personnes est une décision collective et relève de l’enjeu sociétal. Il s’agit d’être co-responsables pour agir dans l’intérêt du plus grand nombre et être créatifs ensemble pour pallier aux difficultés financières inégalitaires.
Cette prise de risque ne se décide pas individuellement, dans l’intimité de la conscience du travailleur indépendant… et probablement que si nous n’avions pas eu cette limite claire et précise, imposée par les personnes légitimement garantes du cadre dans lequel nous avons choisi de travailler, nous aurions eu plus de difficultés à rester chez nous, avec en prime un grand sentiment de culpabilité face à ce mythe de la performance.
Ainsi, les CAE permettent de s’organiser entre travailleurs, pour que celles et ceux qui peuvent continuer grâce au numérique soient solidaires de celles et ceux pour qui l’activité s’arrête. Elles peuvent aussi mettre en place des réseaux d’écoute pour assurer le maintien du lien, apporter une oreille aux inquiétudes et briser l’isolement. Enfin, elle peuvent répondre rapidement aux nouvelles problématiques en mobilisant ses équipes de professionnels multi-facettes, réactifs et engagés, comme ces couturières prêtes à répondre aux besoins en masques, capables, ensemble de faire des offres aux collectivités.
Sans doute que ce modèle n’est pas encore parfait ou qu’il ne convient pas à tous les métiers, mais il représente une alternative cohérente au système prédateur qui aujourd’hui montre la face stérile de son inhumanité. Les coopératives parlent un langage dont tout le monde semblait avoir perdu l’usage : entraide, mutualisation, cohérence… il s’inscrit dans un élan de vie. Avec la pandémie, tout un chacun se réapproprie ce vocabulaire.
À nous maintenant de faire savoir avec fermeté que la solidarité n’est pas fatalement destinée aux situations de crise, qu’elle peut être à la base d’un système économique fondé sur la justesse des échanges et la qualité des produits. Un système qui s’organise avec le vivant et non pas contre lui.
Flora Nativel, sociologue de la coopération, formatrice en gouvernance partagée, associée Manucoop