Ressources Solidaires : L’EMI tient une place particulière dans le champ de la formation aux métiers de la presse. C’est une SCOP ! Peux tu expliquer comment elle est née et pourquoi une SCOP ?
François Longérinas : L’EMI, « L’école des métiers de l’information », naît en 1982, à l’initiative de trois journalistes professionnels très impliqués dans les mouvements associatifs, en particulier de défense des droits et de l’éducation populaire. Ils ont pour ambition de transmettre les techniques professionnelles du traitement de l’information aux responsables des publications des associations et des organisations syndicales. L’école s’appelle alors « Centre de formation et de documentation pour la presse associative, syndicale et différente » !
Quelques années plus tard, de nombreuses personnes y ayant suivi des stages, ont souhaité en faire leur métier. Et c’est ainsi qu’est créée en 1985 la première formation qualifiante de journaliste destinée à des personnes souhaitant se reconvertir professionnellement. Pour la petite histoire, j’ai moi-même suivi cette formation, alors que j’étais travailleur social… et engagé dans une radio locale associative en région parisienne !
En 1990, l’École est l’un des premiers organismes de formation à s’engager dans l’informatisation de la presse, la « PAO ». Et elle se développe à grande vitesse. Mais elle se retrouve vite en difficulté car les banques, y compris celles se réclamant de l’économie sociale, refusent de prêter à notre association les sommes nécessaires à l’investissement dans l’achat d’ordinateurs. Et c’est à ce moment que des amis, qui animaient la SCOP Incidences, agence de communication, nous conseillent de nous transformer en coopérative. Nous sommes sept volontaires à y mettre toutes nos économies, l’Union régionale des SCOP nous soutient et c’est parti : en mars 1995, nous créons la SCOP CFD-EMI. Comme vous pouvez le remarquer, la transformation d’association en coopérative s’est réalisée plus dans une démarche pragmatique qu’idéologique.
Ressources Solidaires : Les métiers de la presse et du journalisme sont impactés par le multimédia et internet. Plutôt que de pester après cet élément inexorable, l’EMI s’est adaptée pour proposer des formations multimédia aux journalistes. Comment cela a été perçu dans le milieu et en interne ? Facile à convaincre ?
François Longérinas : L’EMI accompagne les médias d’information à la mutation numérique depuis une bonne dizaine d’années. Dans un premier temps, il s’est agi de transmettre une bonne culture numérique aux rédactions des quotidiens nationaux et de la presse magazine. La première chose que nous avons pu remarquer, c’est d’abord une relative déstabilisation d’une partie de nos consœurs et confrères quant à la place qu’occupent désormais les citoyens lambdas dans la production d’informations.
Au fond, ce phénomène a remis les choses à leur place, à savoir qu’il est plus important de donner au public des éléments de contextualisation et de compréhension d’un événement que d’être le premier sur place à le couvrir. Puis les réseaux sociaux permettent peu à peu aux journalistes professionnels de remplir à la fois la fonction de l’immédiateté sur le terrain, puis de prendre un peu de recul pour expliquer.
Le traitement multimédia a modifié aussi le champ de compétences, obligeant chacun à s’approprier des bases rédactionnelles, aussi bien dans l’écrit que le son, mais aussi en vidéo.
Cela a mis des années, mais la bataille pour la prise en main des enjeux et des outils numériques est gagnée. Reste à faire du bon travail. Ce qui n’est pas gagné, quand on connaît la concentration des médias, qui génère souvent des conditions dégradées de production de l’info.
Plus encourageant est d’observer le dynamisme des médias indépendants et leur reconnaissance par le public. Mediapart, Bastamag, Alternatives économiques, Reporterre… et bien d’autres participent à redessiner le paysage médiatique.
Ressources Solidaires : La réforme de la formation professionnelle de 2014 a profondément bouleversé le financement et le référencement des organismes de formation. L’EMI a t elle réussi à passer le cap ? Que peux tu nous dire sur cette réforme qui a, malgré tout, fait du dégât semblerait il ?
François Longérinas : L’EMI a subi cette réforme comme un véritable choc, à l’identique de l’ensemble des acteurs de la formation professionnelle, les organismes de formation, les organismes paritaires de financement (les OPCA), et administrations comme Pôle Emploi. Cette réforme portait une nécessaire rationalisation du secteur, tout en diminuant la mutualisation des cotisations des entreprises. Mais sa mise en œuvre a été catastrophique sur le plan technique.
A tel point que le secteur a connu une baisse d’activité de l’ordre de 25% pendant près d’un an et demi. Plusieurs dizaines d’organismes ont ainsi déposé le bilan, ou bien ont été rachetés par des concurrents… et des milliers de formateurs ont perdu leur emploi.
Nous étions pourtant préparés à une telle évolution : nos principales actions qualifiantes sont certifiantes et notre démarche qualité, amorcée il y a deux ans, devra être validée début 2017.
Du côté de l’EMI, la baisse a été réelle, à hauteur de la moyenne nationale, et a entraîné l’écroulement de nos réserves. Heureusement que nous en avions… ! Par bonheur, plusieurs coopératives et associations et des dizaines d’anciens élèves ont souscrit à des titres participatifs, qui sont des prêts sur sept ans. Nous avons ainsi, en trois mois, recueilli plus de 60% des besoins en trésorerie que nous devons restaurer.
Et puis la rentrée de septembre dernier a été spectaculaire, avec des stages qualifiants très bien remplis et une forte demande de formations du côté des médias (Le Monde, Prisma, Lagardère, Mediapart, le Journal officiel…), mais également du côté de l’ESS (les Ceméa, la Mutualité française, le Secours populaire).
Ce n’est pas gagné, mais je suis convaincu que notre posture d’organisme indépendant de tout groupe financier a également renforcé notre réputation dans les milieux de la presse, de l’édition et de la communication.
Ressources Solidaires : On n’a jamais autant parlé des SCOP que depuis 3 ou 4 ans. Est ce l’outil providentiel pour sauver la société ? Comment faire passer le bon message au grand public ? Que fait l’EMI pour promouvoir ce mode d’entreprise ?
François Longérinas : Leur congrès national qui s’est tenu le mois dernier à Strasbourg l’a montré, les SCOP ont connu un développement de 25% ces quatre dernières années. Même si elles frôlent aujourd’hui le nombre de 3000 sociétés et de 52000 salariés, restons modestes, ce chiffre est encore faible. Jacques Landriot, fraîchement élu à la présidence de la Confédération générale, vise les 70000 salariés d’ici 2020. Cela me semble ambitieux et raisonnable. Ce congrès a aussi fait une large place aux SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif) et aux CAE (coopératives d’activité et d’emploi).
Mais compte tenu de l’ampleur de la crise sociale et écologique, l’augmentation du nombre de SCOP, même à un rythme soutenu, ne suffira pas à en sortir. En revanche, les coopératives sont un outil déterminant pour expérimenter une autre manière d’entreprendre et de démontrer ainsi que c’est possible !
Il y a, selon moi, trois mouvements qui montrent la voie. Le plus visible médiatiquement est celui de la reprise en coopérative par les salariés de leur entreprise. Les exemples de SCOP TI et de la Fabrique du Sud sont emblématiques d’une démarche qui combine fonctionnement démocratique et l’ambition d’une production de qualité, dans le cadre d’une production industrielle. Le deuxième fait saillant est incarné par l’émergence, désormais inscrite dans le paysage coopératif, des SCIC et des CAE. Les unes dessinent de nouvelles relations entre les institutions publiques et les projets d’entreprises coopératives, les autres mettent concrètement sur la table la question d’un autre rapport au travail, chacun étant complètement responsable de son activité. Pour finir, j’ai pu observer une nouvelle génération de coopératrices et de coopérateurs trentenaires, qui sont à l’origine de sociétés de service (numérique, design, communication…) ; et je les ai entendus affirmer, au cours des récents débats lors des congrès, régionaux et national, qu’ils avaient choisi de se constituer en SCOP pour « des raisons politiques ». Ca promet pour l’avenir.
De notre côté, à l’EMI, nous agissons pour la promotion du modèle coopératif en développant des partenariats avec d’autres SCOP, pour mener des actions et des événements communs. Et nous ne ratons pas une occasion, ce fut le cas au cours du Mois de l’ESS, de raconter comme cela se passe chez nous. En précisant que notre expérience est passionnante, même si c’est souvent difficile de vouloir fonctionner autrement et revendiquer une finalité d’intérêt général, en affrontant un marché et un contexte social emplis de brutalités. Il faut tenir le choc, ce n’est pas toujours facile… En bref, les SCOP, c’est un défi de tous les jours et ce n’est pas les bisounours !