Les banques françaises soutiennent le microcrédit en finançant les associations d’aide aux exclus bancaires, mais hésitent à prêter directement à une population qu’elles jugent peu solvable, quand les banques américaines s’y intéressent depuis 30 ans.
Ces prêts de faible montant, à taux d’intérêt limité, coûtent cher car les associations déboursent en outre quelque 2.000 euros pour aider l’emprunteur à monter son projet, selon l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique), qui organisait une semaine d’information sur le microcrédit dans les quartiers en difficulté.
»Pendant longtemps, les seules banques qui se sont intéressées à ce genre d’activités étaient les banques du secteur mutualiste. De façon très récente, on voit un certain nombre d’établissements financiers s’insérer dans ce domaine », explique Jean-Michel Servet, professeur d’économie à l’Institut universitaire d’études du développement à Genève.
Le Crédit Mutuel, pionnier en la matière, a été rejoint par le Crédit Coopératif, les Banques Populaires, les Caisses d’Epargne et, plus récemment, par BNP Paribas. A eux cinq, ils financent 60% de l’encours des prêts de l’Adie.
»Il y a deux explications possibles. D’abord c’est un secteur du marché, et pourrait être un élément de rentabilité. Ensuite elles redoutent une loi similaire à ce qu’il existe aux Etats-Unis ou en Inde », poursuit ce spécialiste de la microfinance.
Une loi fédérale de 1977, connue sous le nom de »Community Reinvestment Act », oblige les banques américaines à offrir un accès égal au crédit à toutes les personnes habitant leur zone de couverture.
Avant cette loi, étaient souvent exclus des services financiers les personnes à faibles revenus ou de couleur.
Pour Maria Nowak, présidente de l’Adie, les banques doivent »se souvenir de leur origine » et, suivant l’exemple américain, »jouer leur rôle de créateur de richesse au sein de l’économie » en aidant à la création de micro-entreprises.
Les Banques Populaires ont été créées, à la fin du XIXe siècle, par des candidats à la création d’entreprise qui n’avaient pas accès au crédit, la haute banque parisienne ne finançant que le grand commerce.
Les Caisses d’Epargne ont été fondées à la même époque, sur l’initiative de philanthropes, pour encourager l’épargne des cultivateurs, ouvriers, domestiques, femmes, tous des exclus de la finance.
Et le Crédit Mutuel, sous l’influence d’un édile alsacien soucieux de sauver les pauvres des griffes des usuriers.
Mais l’Etat »a pris le relais du rôle social des établissements bancaires », explique Pierre Dutrieu, directeur du Développement durable et de l’intérêt général au groupe Caisse d’Epargne.
»Si les banques s’engagent à prêter elles-mêmes, c’est difficilement rentable : par définition, le microcrédit est du sur-mesure. Or les banques sont pensées aujourd’hui pour faire du prêt-à-porter, des offres standardisées à des segments de clientèle », relève Georges Gloukoviezoff, chercheur à l’Université Lyon II.
S’adosser à une association présente un autre avantage : la proximité avec le terrain. Plusieurs caisses d’épargne ont épaulé des associations locales de lutte contre l’exclusion financière, en y détachant un salarié de la banque.
»Aux Etats-Unis, les banques ont pris appui sur des banques communautaires pour déceler les opportunités de crédit ignorées par le traitement automatisé des demandes », poursuit ce chercheur.
Selon lui, un recours à la loi en France est »indispensable » mais »il ne suffit pas d’obliger les banques à donner des crédits à tout le monde, avec le risque de faire exploser le nombre de dossiers de surendettement : cela doit se faire de manière adaptée ».
www.tageblatt.lu - avril 2006