Les grandes manœuvres,quel patronat pour l’économie sociale ?

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Les grandes manœuvres,quel patronat pour l'économie sociale ?

La réunion, le 19 septembre, du conseil d’administration de cette dernière a précipité la crise. En effet, dans la délibération adoptée ce jour-là, elle « décide de suspendre sa participation aux instances de l’Union de syndicats et groupements d’employeurs représentatifs de l’économie sociale [Usgeres] pour ce qui ne relève pas strictement de la compétence d’Uniformation » et donc des questions de formation professionnelle. Par ailleurs, se défendant d’être un syndicat ou groupement d’employeurs, elle précise « quelle n’entend pas se substituer aux syndicats d’employeurs qui, sur le même champ d’activités, remplissent leurs missions propres ». Enfin, elle propose que, « sous l’égide d’un médiateur, choisi m commun », toutes les parties se retrouvent autour d’une table pour clarifier les choses et * renforcer l’expression et la reconnaissance collective du mouvement associatif, sanitaire, social et médico-social et de ses besoins ».

L’Usgeres change ses statuts C’est la parade, pour le moins ambiguë, adoptée par l’Uniopss pour se sortir de la situation inconfortable où elle se trouvait depuis le changement de statuts de l’Usgeres (1). Retour sur les faits : le 14 mars 2001, l’Usgeres - qui est le collège employeur de l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) d’Uniformation -, décide de modifier ses statuts pour devenir l’instance représentative des employeurs de l’économie sociale auprès des pouvoirs publics et des confédérations syndicales. Toutes les organisations adhérentes - dont l’Uniopss - approuvent la nouvelle orientation. Toutes sauf le SOP qui claque la porte en considérant qu’« aucun rassemblement des employeurs de l’économie sociale ne peut se faire sans tenir compte de l’existence de l’Unifed ». L’Unifed, de son côté, ressent ce changements de statuts comme une déclaration de guerre. Elle dénonce le manque de concertation et la brutalité de la méthode. De plus, elle considère que l’Usgeres confond les genres en réunissant à la fois des unions professionnelles et des syndicats d’employeurs et lui dénie toute légitimité à devenir un Medef de l’économie sociale. « On ne peut pas mettre dans une chambre patronale autre chose que des syndicats d’employeurs en capacité de négocier des accords », s’irrite Didier Tronche, directeur général du Syndicat national des associations pour la sauvegarde de l’enfant à l’adulte (Snasea), membre de l’Unifed.

Dans ce conflit, l’Uniopss est prise en tenaille. Elle a un pied dans l’Usgeres en tant que membre adhérent ; et un autre dans l’Unifed, par le biais du SOP (syndicat qui lui est proche), mais aussi à travers la FEHAP et la Croix-Rouge française (alors toutes deux représentées au sein du conseil d’administration de l’Uniopss). Dès juin, l’Unifed juge donc que l’Uniopss - qui n’est pas un syndicat a employeurs - n’ a plus sa place au sein de l’Usgeres et lui demande de clarifier sa position. Le 12 juillet, les choses se précipitent puisque la FEHAP décide de se retirer de l’Uniopss, estimant « impossible » pour elle d’être adhérente à la fois de l’Unifed et de l’Usgeres via l’Uniopss. Sommée de se prononcer, l’Uniopss attendra finalement le 19 septembre pour décider de son maintien ou non dans l’Usgeres. « II y a eu une bévue, reconnaît aujourd’hui, Jean-Michel Bloch-Lainé, son président. L’Usgeres a été trop loin dans la modification de ses statuts qui pouvaient apparaître comme ayant une prétention hégémonique. Et nous avons pris du retard dans le règlement de ce problème. » Reste que l’Uniopss se trouve fragilisée. Si la délibération du 19 septembre a été adoptée à l’unanimité des personnes présentes, la Croix-Rouge française était absente à la réunion. Et elle devrait, elle aussi, décider de se retirer de l’Uniopss. Faut-il craindre alors un risque de contagion et d’éclatement de l’Uniopss ? Au sein de l’union, on se veut rassurant en indiquant que la séance du 19 septembre a plutôt resserré les liens entre les membres présents, bien décidés à faire front commun. L’organisation n’en est pas moins dans une situation délicate en raison des liens étroits de ses adhérents avec l’Unifed : par exemple, les plus grosses associations de l’Unapei sont représentées au sein du Snapei (membre de l’Unifed)... En même temps, et à l’inverse, il faut bien voir que ces jeux d’appareils n’affectent que les têtes de réseaux et ne préjugent en rien des relations qu’ont souvent nouées sur le terrain les associations avec les Uriopss.

Prudente, la FEHAP a d’ailleurs pris soin de préciser à ses adhérents que sa décision de retrait n’interférait pas sur les liens qu’ils avaient pu tisser localement. Et qu’en outre elle ne modifiait en rien ses possibilités d’action avec l’Uniopss sur certains sujets d’actualité comme la réforme de la tarification. Avertissement donc, et non pas rupture. Mais sur le fond, la stratégie de l’Uniopss, qui vise à ménager la chèvre et le chou, permettra-t-elle de rapprocher les points de vue ? Rien n’est moins sûr. Certes, * sa politique de petits pas va plutôt dans le bon sens », concède Philippe Calmette, directeur général du Snapei et président de l’Unifed, qui reste vigilant sur la traduction dans les faits de sa décision de se retirer partiellement de l’Usgeres. « Néanmoins, l’Uniopss ne va pas au bout de la logique de clarification que nous demandons », affirme-t-il, à savoir son retrait pur et simple. Quant à sa proposition de nommer un médiateur : « pour quoi faire ? », s’interroge-t-il. « On n’a jamais demandé à l’Uniopss qu’un médiateur soit nommé », s’irrite-t-on à la Croix-Rouge française. Par ailleurs, la décision de l’Uniopss place l’Usgeres dans une position inconfortable. Certes, l’Uniopss ne prend pas la porte. Mais en décidant de suspendre partiellement sa participation, elle signifie clairement qu’elle ne reconnaît plus le changement de statuts de l’Usgeres, redevenue pour elle simple collège employeur d’Uniformation. Cette décision place dans une situation périlleuse le président de l’Usgeres, Gérard Deschryver, qui n’est autre que le vice-président de l’Uriopss Nord-Pas-de-Calais. « Sa légitimité n’est pour l’instant pas remise en cause », assure-t-on à l’Usgeres.

Où l’on veut voir dans la délibération de l’Uniopss » une volonté d’assainissement d’autant plus souhaitable que beaucoup d’incompréhensions et de crispations se sont accumulées ». « La proposition de médiation nous convient tout à fait et devrait permettre d’avoir un débat responsable. On y réfléchit », explique Anne Lacord-Potet, chargée de mission pour la communication. Constituer une force patronale Mais derrière ces stratégies d’appareil, dont les arcanes échappent bien souvent aux professionnels de terrain, se cache un enjeu de taille : quelle structuration des employeurs de l’économie sociale ? Quel patronat pour un secteur qui compte 750 000 entités, 1,8 million de salariés et réunit des ramilles aussi diverses que les mutuelles, les coopératives de production, les associations du secteur sanitaire et social et les associations des secteurs de l’animation, de l’éducation populaire, de l’hébergement et du tourisme social ?

Car aujourd’hui toutes ces composantes se voient imposer des dispositions et des réglementations négociées par les organisations patronales reconnues (Medef, Confédération générale des petites et moyennes entreprises, Union professionnelle artisanale...) au sein desquelles leurs dirigeants ne se sentent pas représentés. Classée « hors champ », l’économie sociale - secteur pourtant innovant et créateur d’emplois - est exclue des lieux de concertation et de négociation professionnelle. Chacun des acteurs est donc bien conscient de la nécessité, notamment avec l’ouverture européenne, de parvenir à une force patronale visible et reconnue comme telle par les pouvoirs publics. Tâche particulièrement délicate dans « un secteur peuplé de petits empires qui surveillent étroitement leurs frontières », selon l’expression d’un responsable associatif. Et où les structures s’emboîtent comme des poupées gigognes.

Mais alors que tous appellent de leurs vœux une structuration cohérente, l’impression dominante est plutôt celle d’un grand désordre, chacun y allant de façon dispersée, nouant ici de nouvelles alliances et provoquant là de nouveaux clivages. Et le tableau n’en est que plus difficile à lire. L’Unifed se dit prête à participer à une instance qui représente l’ensemble des composantes de l’économie sociale à condition que les unions nationales ne s’autorisent pas à s’exprimer à la place des syndicats d’employeurs. De son côté, l’Usgeres justifie le caractère hybride de sa composition en expliquant que « c’est la réalité du moment ». * Tous les employeurs de l’économie sociale ne sont pas encore organisés en syndicats, la question des employeurs est en émergence », plaide Anne Lacord-Potet, soulignant l’urgence d’organiser une représentation interprofessionnelle de l’économie sociale.

Mais le débat s’est déjà déplacé ailleurs puisqu’un troisième interlocuteur vient de faire son apparition sur l’échiquier. Voilà que le Comité national de liaison des activités mutualistes, coopératives et associatives (CNLAMCA), jusqu’ici simple lieu d’échanges internes et de relations avec les pouvoirs publics, emporté par son nouveau président Jean-Pierre Davant, président de la Mutualité française, a décidé lui aussi de devenir le Medef de l’économie sociale. Et, le 30 octobre, il devrait se transformer en Conseil des entreprises et groupements de l’économie sociale (CEGES). La méthode est pour le moins brutale : son nouveau bureau (élu depuis le 13 juin) a déjà été reçu par la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et par le secrétaire d’Etat à l’économie solidaire. Et Jean-Pierre Davant a annoncé que le CEGES serait associé au chantier de la démocratie sociale et participerait aux élections prud’homales de 2002. Mainmise de la Mutualité française ? On comprend, dans ces conditions, la colère de l’Unifed dont la demande de participer au chantier de la démocratie sociale est, elle, restée sans réponse. Celle-ci voit dans « cette autoproclamation » du CEGES, la mainmise de la Mutualité française. « Au nom de quoi s’arroge-t-elle le droit de représenter l’ensemble de l’économie sociale ? », tempête Philippe Calmette. Expliquant qu’à côté des 55 000 salariés de la Mutualité française, l’Unifed couvre 600 000 salariés (avec les accords de branche étendus) et pèse la moitié de l’économie sociale. « C’est bien de s’autoproclamer représentatif de l’économie sociale, mais encore faut-il avoir les moyens de cette représentativité ! », s’emporte encore le président de l’Unifed. Et d’arguer que la branche associative du sanitaire, médico-social et social est la seule de l’économie sociale à s’être dotée d’autant d’outils pour représenter les employeurs et les salariés. La structuration continue d’ailleurs puisque l’Unifed a proposé aux partenaires sociaux la création d’un nouvel OPCA avec la. fusion de Promofaf et d’une partie d’Uniformation.

Projet de longue haleine, dont l’aboutissement est prévu le 1er janvier 2003, qui risque de fragiliser Uniformation et, par là, l’Usgeres. Avantage donc pour l’Unifed : son poids dans le secteur de l’économie sociale. Inconvénient : son isolement face au futur CEGES qui entend jouer les rassembleurs. Celui-ci s’est fixé comme objectif d’assurer la représentation politique de l’ensemble des employeurs de l’économie sociale à travers ses mouvements, dont la Conférence permanente des coordinations associatives qui réunit elle-même... l’Uniopss et l’UNAF (membre de l’Unifed). Et il entend associer les syndicats d’employeurs de l’économie sociale au travers d’un collège technique sous réserve que ces derniers se rassemblent en une structure unique. Pour l’instant, des discussions sont menées avec l’Usgeres, le CNLAMCA ayant posé comme condition que l’union sorte de ses ambiguïtés en ne réunissant plus que des syndicats d’employeurs. Cette clarification, qu’elle avait elle-même souhaitée, suffira-t-elle à l’Unifed pour accepter de rejoindre ce collège et devenir un simple outil technique du CEGES ? A l’Unifed, on se contente pour l’instant de relever qu’il y a quelques incohérences à vouloir assurer la représentation politique des employeurs tout en participant aux futures élections prudhomales. Il est probable d’ailleurs que l’Unifed présentera, elle aussi, des candidats à ces élections.

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