La mutualité, nous dit-on, serait placée devant un choix impossible. Soit elle prend en charge les nouveaux dépassements tarifaires tels que les autorise la loi du 13 août 2004 et tels que les organise la convention médicale du 12 janvier 2005 et elle fait du même coup exploser les cotisations de ses adhérents. Soit la mutualité ne les prend pas en charge et elle ouvre alors en grand les portes d’une médecine à deux vitesses. Ainsi réduite à l’impuissance, il ne resterait à la mutualité rien d’autre à faire qu’à s’attarder en regrets aussi vains que tardifs.
Eh bien non ! La Mutualité française a fait le choix de dire de manière solennelle à toutes ses mutuelles adhérentes de ne pas prendre en charge les dépassements qui ne s’inscrivent pas dans une démarche vertueuse de soins coordonnés. C’est un choix clair et parfaitement cohérent avec les propositions formulées par la mutualité l’été dernier à Toulouse et soutenues par les Mutuelles de France. La mutualité n’entend pas organiser par elle-même, comme on semble presque le lui demander, la régression du régime obligatoire. Les compagnies d’assurances ont fait le choix contraire.
Ce n’est pas fait pour nous surprendre. Tous les autres acteurs sont désormais devant leurs responsabilités et le pouvoir devant les siennes. Il devra dire en rédigeant son décret sur les contrats responsables s’il veut bloquer la dérive des dépenses, arrêter le repli des prises en charge solidaires, encourager l’égalité
d’accès aux soins de qualité, juguler les dépenses non fondées sur des critères d’utilité ou bien si dans la bouche du gouvernement « Sauver la Sécu » n’est qu’un slogan politicien vide de sens. Réaffirmer aujourd’hui la pertinence de nos orientations alors qu’un jour on nous invite à changer de diagnostic quand un autre on nous accuse carrément de voler au secours du ministre de la Santé participe, en effet, d’une volonté politique forte. Je me réjouis que le mouvement mutualiste ait été capable de l’exprimer avec autant de détermination. Car nous mesurons, peut-être mieux que quiconque, la difficulté de la situation et les risques qu’elle comporte. Les plus immédiats sont les risques d’incompréhension. Et je me rends parfaitement compte qu’ils iront croissant tant que les différents acteurs du mouvement social n’auront pas trouvé le moyen de recréer des espaces partagés de débat à défaut d’être en mesure de conduire des actions communes.
Voilà pourquoi la mutualité se devait de réaffirmer son positionnement sans la moindre ambiguïté et sans la plus petite faiblesse. Nous ne tomberons pas, par exemple, dans le piège qui consisterait à dire que la convention médicale aurait ruiné les derniers espoirs que l’on pouvait placer dans la loi votée par la majorité gouvernementale en août dernier. La raison est simple. La loi relative à l’assurance maladie n’est pas la réforme que voulait le mouvement mutualiste. Combien de fois faudra-t-il le répéter pour s’en convaincre une bonne fois pour toutes ? Et il n’y a rien dans la convention médicale qui n’ait pas été permis par le texte du 13 août 2004. Des syndicaux médicaux peuvent certes s’enivrer d’illusions et revendiquer comme le symbole d’une puissance reconquise la signature de cette convention totalement irresponsable, mais quoi qu’ils en disent, la réalité du pouvoir reste entre les mains du pouvoir politique. La convention est bien la fille légitime de la loi Douste-Blazy. Nous ne céderons pas davantage devant les pressions qui voudraient nous faire renoncer aux contrats responsables au prétexte qu’ils annonceraient l’éclatement de la Sécurité sociale tel qu’il figurait dans les recommandations du rapport Chadelat. Les contrats responsables, je préfère les appeler les contrats solidaires, c’est une vieille idée du mouvement mutualiste. Elle a même pris force de loi avec le nouveau Code la mutualité. Depuis, tous les opérateurs qui renoncent à proposer dans le cadre de contrats individuels des questionnaires médicaux ou bien à tarifer selon l’état de santé de la personne, sans baisser évidemment les niveaux de remboursement, sont exonérés de la taxe sur les conventions d’assurance.
C’est ce principe que nous avons proposé d’étendre non plus seulement à tous les opérateurs mais à tous les types de contrats et donc aux contrats collectifs signés dans les entreprises. Ces derniers, faut-il le rappeler, bénéficient actuellement, ainsi que les contrats Madelin destinés aux travailleurs non salariés, d’avantages sociaux et fiscaux sans que le système de santé en tire quelque avantage que ce soit. Bien au contraire. Ces contrats réduisent les recettes de la Sécurité sociale et augmentent les dépenses des régimes d’assurance maladie et des mutuelles. Mais je comprends l’attachement des organisations syndicales à cette prévoyance collective. Elle participe, de leur point de vue, à la constitution du contrat salarial. Mais rien ne doit nous interdire pour autant de réfléchir ensemble au rôle que devra jouer cette prévoyance collective à la fois dans le maintien des droits attachés à la personne du salarié et dans la régulation des dépenses de santé. Faute de quoi la prévoyance collective deviendra très rapidement un nouveau moyen pour les employeurs de peser sur le niveau des salaires ou d’opposer les actifs aux inactifs. Ce mouvement est déjà en marche. L’année du soixantième anniversaire des ordonnances sur la Sécurité sociale et de la loi sur les comités d’entreprise serait donc une belle année pour relancer le débat sur le mutualisme d’entreprise, c’est-à-dire sur les moyens offerts aux salariés de donner un sens et une portée pratique à la démocratie sanitaire dans l’enceinte même de l’entreprise. Nous allons d’ailleurs organiser avant l’été une rencontre natioanle sur la mutualité en entreprise et la prévoyance collective.
Avec les contrats responsables et solidaires nous restons dans le champ de la libre décision et du choix individuel. Ils n’ont rien à voir ni de près ni de loin avec une assurance maladie complémentaire obligatoire. Un second niveau d’obligation serait d’ailleurs la meilleure façon de geler voire de racornir les régimes d’assurance maladie. Nous avons derrière nous l’expérience de l’assurance vieillesse où les pensions de base sont devenues l’accessoire et les retraites complémentaires l’essentiel. Une telle construction a conduit par faire le lit des retraites privées par capitalisation.
Les contrats responsables tels que nous les concevons ne sont pas une sorte de cahier des charges que les différents opérateurs s’engageraient à respecter sous le contrôle de l’État voué en dernier ressort à organiser la concurrence entre les opérateurs commerciaux et ceux à but non-lucratif. Mais ni la clarté de nos explications ni la pureté de nos intentions n’empêcheront nos interlocuteurs et nos partenaires d’avoir plusieurs lectures de la posture mutualiste. Cela n’a rien de choquant. Nous-mêmes avons parfois du mal à comprendre le positionnement des acteurs syndicaux qui peuvent tout à la fois dénoncer l’entreprise de culpabilisation et de pénalisation des assurés sociaux et revendiquer dans le même temps la prise en charge des contributions forfaitaires dans le cadre des accords collectifs. Avec le recul je me dis que nous avons eu raison de lancer rapidement notre campagne de pétitionnement contre la contribution forfaitaire. Plus que jamais nous sommes déterminés à demander le retrait de cette mesure et à élargir notre action. Dans ce moment d’incompréhensions réciproques je sens davantage de désarroi que de volonté polémique. C’est ce qui me rend optimiste sur notre capacité des uns et des autres à reprendre le champ du dialogue tout en sachant que la pression qui va s’exercer sur la mutualité restera énorme. Il va falloir que nous restions vigilants, combatifs et persuasifs et ce au sein même du mouvement mutualiste. Car la posture prise par la mutualité n’est peut-être pas tout à fait celle de toutes les mutuelles. Je ne vois pas d’ailleurs, quand on regarde ce qui se passe dans les formations politiques ou dans les organisations syndicales, par quel miracle seul le mouvement mutualiste serait capable de se fédérer sur un seul point de vue. Mais la mutualité, à la différence d’autres acteurs, doit être capable de gérer à la fois le temps stratégique avec le temps des mises en œuvre. Nous sommes toujours devant des rendez-vous de gestion que nous ne pouvons pas repousser et des choix d’orientation souvent mis en balance avec le pragmatisme du terrain. Dans le moment particulièrement délicat et difficile où nous sommes, céder sur notre posture et sur notre vision globale concernant la qualité des soins, la régulation efficiente et équitable du système, la démocratie sociale et la relation partenariale avec l’assurance maladie et contractuelle avec les professionnels de santé, c’est aussi exposer les mutuelles à des problèmes gestionnaires insurmontables.
Nous sommes tous convaincus que notre posture sur les contrats responsables n’est pas la posture miracle, pas plus qu’il n’y a de vérité révélée sur la réforme de l’assurance maladie. C’est au contraire une posture à risque. Raison de plus pour que nous passions, pour que toute la mutualité passe à la vitesse supérieure.