Dans la littérature, les « plateformes numériques » sont généralement associées à l’évolution du capitalisme contemporain [Bamberger et Lobel, 2017 ; Smyrnaios, 2017 ; Srnicek, 2017]. Pour Srnicek [2017], une nouvelle forme d’entreprise s’est développée au xxie siècle grâce aux innovations des technologies numériques : l’entreprise-plateforme, positionnée à la fois en tant qu’acteur intermédiaire entre différentes catégories d’usagers, et comme l’espace même où se réalisent les activités d’échange de biens et de services entre eux. La littérature sur les plateformes est riche de définitions [Bamberger et Lobel, 2017 ; Constantinides et al., 2018 ; Smyrnaios, 2017, Srnicek, 2017 ; Vercellone et al., 2018] et ouvre sur des débats théoriques concernant la nature, les caractéristiques et l’utilité sociale de celles-ci. Deux grandes catégories de plateformes peuvent être distinguées [Carballa-Smichowski et Coriat ; 2017] : les entreprises-plateformes qui cherchent à contrôler de grands volumes de données pour en tirer profit [Smyrnaios, 2017 ; Srnicek, 2017 ; Vercellone et al., 2018], et les plateformes alternatives qui entendent s’émanciper des principes purement marchands et répondre à des enjeux de soutenabilité sociale et environnementale [Vercher-Chaptal et al., 2021 ; Fuster Morell, 2018].
Le cadre conceptuel polanyien est pertinent pour comprendre l’avènement de certaines entreprises-plateformes dans l’économie numérique et la domination exercée aujourd’hui par celles-ci. C’est bien parce qu’elles ont réussi à se désencastrer d’une multitude d’institutions sociales que ces entreprises ont pu s’imposer, jusqu’à atteindre dans certains secteurs des positions quasi monopolistiques. Droit du travail, protection sociale, fiscalité, droit de la concurrence, protection des données, etc. : ces corpus de règles garanties théoriquement par les États ont été mis à mal dans leur effectivité par les stratégies des entreprises-plateformes pour assurer une croissance rapide, et notamment par leur capacité à se « dé-territorialiser » pour déjouer à leur avantage l’application du droit [Behar Touchais, 2017].