Une histoire simple de télévision
Lettre ouverte à Pierre Henri SALFATI, aux sociétés de production
et aux maîtres du monde télévisuel public
(Suite à la diffusion du documentaire " une histoire simple du téléspectateur "
en 2 parties, les 26 décembre et 2 janvier sur France 5)
La trêve des confiseurs aurait dû nous inciter normalement à l¹indulgence et à la toléranceŠ Mais pour être magnanime, il faut ne pas avoir été sur sa faim durant l¹année qui vient de s¹écouler et avoir quelques espoirs de ne pas l¹être durant l¹année à venirŠ
Et, en 2003, nous avons eu les crocsŠ La télévision, en général, a fonctionné en vas-clos, les oreilles attentives au seul Audimat (Audimat : instrument qui diffuse le chant des sirènes pour les annonceurs et rend inaudible toute critique de citoyen-téléspectateur). France Télévisions (adepte de la méthode Coué : je suis un service public, je suis un service public, Š) n¹a pas fait mieux dans ce domaine. La déception est d¹autant plus grande que les attentes concernant la télévision publique sont plus importantes : Nous participons à son financement !
Rien n¹y fait : 3 ans après avoir été prévu dans la loi, le Conseil Consultatif des Programmes composé de téléspectateurs n¹existe toujours pas au sein de France Télévision. Les Médiateurs (ou plutôt leurs services car nous pensons que Jean-Claude ALLANIC et Geneviève GUICHENEY font ce qu¹ils peuvent) font des exercices de reformulation en paraphrasant, dans leurs réponses, les questions des téléspectateurs. En Bretagne, France 3 fait la sourde oreille à une réclamation de ses téléspectateurs (nombreux !) soutenue par des associations, des élus, des collectivités territoriales et même par une recommandation du CSA. Nous avons même eu une " Opération Séduction Redevance " sur France 5 où Marc TESSIER a fait un show de 90 minutes sans véritable contradicteur : Pas de téléspectateurs sur le plateau (nous avions pourtant fait des pieds et mains pour y être invités) et en présence de Dominique WOLTON, éminent sociologue par ailleurs respectable, mais qu¹on oublie de présenter comme membre du Conseil d¹Administration de France Télévisions.
Votre documentaire " Une histoire simple du téléspectateur " est sans doute la goutte d¹eau qui fait déborder le vase. Pourtant, il partait d¹un bon sentiment : parler enfin des gens qui sont devant le petit écran ! Le résultat est affligeant ! Les téléspectateurs ne sont que de pauvres gogos consommant sans réserve, ne possedant aucun sens critique, que l¹on peut entraîner dans des compétitions villageoises pour l¹obtention d¹un poste ou ne cherchant qu¹à paraître absolument dans le petit écran. Le commentaire nasillard et moqueur (ersatz d¹un Strip-Tease) ne fait que renforcer ce lieu commun qui a souvent cours chez les gens de télévision.
Il ne s¹agit pas de nier cette réalité mais ce n¹est qu¹une vision parcellaire (trop simple) des téléspectateurs et un parti pris. Nous ne pouvons pas considérer que vous ignoriez l¹existence de téléspectateurs actifs et militants pour une autre télévision. Vous nous avez rencontrés et filmés pour ce film durant toute une matinée lors du dernier trimestre 2002 ! Nous vous avons transmis des documents audiovisuels et écrits sur nos actions. Rappelez-vous Monsieur SALFATY : à l¹issue de notre rencontre, vous nous avez affirmé que vous étiez en accord avec notre vision de la télévision et vous étiez même prêt à adhérer à notre associationŠ
Bien sûr, vous pourriez évoquer la liberté de l¹auteur, des problèmes techniques éventuels sur les images tournées, les impératifs du montageŠ Mais est-ce bien sérieux ? Vous pourriez aussi évoquer les pressions de la chaîne, la nécessité de ne pas faire de vagues ou le fait de répondre à une commande, Š Mais est-ce bien courageux ? On ne peut même pas vous en vouloir car on comprend qu¹il faut bien manger et c¹est cette télévision qui vous nourrit.
Quelle est-elle cette télévision ? Une télévision où toutes les opinions (dès lors qu¹elles respectent les droits de l¹homme et la loi) ne peuvent pas s¹exprimer, où ses usagers ne peuvent pas faire valoir leurs critiques. Plus globalement, le citoyen n¹a aucun moyen d¹intervention sur la télévision ou ses dirigeants. Peut-on laisser une télévision concernant 97 % de la population, consommée 3h31 quotidiennement et allumée dans les foyers en moyenne 5h29 par jour sans contrôle citoyen et contre-pouvoir ? C¹est une vraie question de société et de démocratie.
Ne pas se la poser peut être dangereux. Lorsque l¹on ne peut pas parler, on se met à hurler, et même en venir aux mainsŠ Des ouvriers en grève ont déjà menacé, en désespoir de cause, de faire sauter leur usine pour attirer l¹attention des médias. Faudra-t-il qu¹un jour, des exclus des espaces de paroles s¹en prennent directement aux médias pour que l¹on prenne conscience de la situation ?
Alors, Monsieur SALFATI, Messieurs les producteurs, Messieurs les maîtres du monde télévisuel public, vous qui participez à ce système, nous aimerions vous entendre sur le cas précis de la censure dont nous avons été victime dans ce documentaire mais aussi sur toutes ces questions que nous soulevons. Mais le ferez-vous ?
Pour être tout à fait honnête, votre documentaire nous a appris une chose : dans les années 60/70, les dirigeants des chaînes étaient encore capables de débattre sur les plateaux avec de véritables contradicteurs. Concluons par un v¦u : que 2004 vous donne ce courage !