Les Mutuelles de France sont maintenant à quelques jours d’un congrès qui s’annonce difficile. Redoutez-vous cette échéance ?
Jean-Paul Panzani. Un congrès est toujours attendu avec impatience par les militants et celui-ci ne dérogera pas à la règle sauf qu’il sera peut-être plus exigeant. Nous avons besoin comme d’autres acteurs en d’autres lieux de mieux comprendre ce qui se passe, de mieux situer la période dans laquelle nous sommes et de rendre plus visible vers ce quoi nous voulons aller en tant que Mutuelles de France et avec le mutualisme dans son ensemble. Ce temps d’analyse indispensable exige une grande liberté et un grand respect dans l’échange des arguments de chacun. C’est aussi un temps pour se projeter dans l’avenir car nous ne pouvons pas nous contenter d’un simple constat. Je me réjouis à ce propos, que nous ayons pris la décision, il y a quelque temps, de reporter notre congrès au mois d’octobre car cette date tombe à point nommé. Dans la mise en œuvre de la réforme de l’assurance maladie, comme dans la construction européenne, le mouvement mutualiste ne peut être absent. Nous avons des choses à dire et des initiatives à prendre. La mutualité aura par exemple à se pencher sur les conséquences de la réforme de l’assurance maladie d’abord en termes gestionnaires, pris d’un strict point de vue de l’acteur du complémentaire que nous sommes, mais aussi en termes politiques. Cette réforme, qui est tout sauf un énième plan de redressement des comptes de l’assurance maladie, pose incontestablement la question du mutualisme dans sa capacité à jouer un rôle dans la défense et le devenir de notre conception solidaire de la protection sociale. De ce point de vue nous sommes très attentifs aux évolutions du regard que portent sur la mutualité de nombreuses forces sociales et des partenaires pourtant considérés comme des alliés historiques. Cette distance nous préoccupe d’autant qu’elle se double du décalage grandissant entre l’état réel de notre société et les capacités d’intervention des populations elles-mêmes sur des dossiers aussi primordiaux que la protection sociale et les sécurités économiques, juridiques liées à la place de chacun dans cet espace, de toutes les insécurités, qu’est devenu le monde du travail. La question qui est posée aujourd’hui au mouvement social est d’empêcher que les prises de distance se traduisent par une rupture irrémédiable. Plutôt que l’échec, les Mutuelles de France choisissent de travailler à la convergence des forces sociales. Notre congrès entend donc se placer sous le signe de l’action, de l’innovation démocratique et de la nouvelle alliance entre acteurs sociaux. Alors pourquoi la FMF redouterait-elle ce moment ?
Vous avez parlé de prise de distance. Qui alors, en porte la responsabilité ?
Jean-Paul Panzani. Tout le monde doit assumer la part de responsabilité qui est la sienne, la mutualité comme les autres. Mais on se tromperait gravement si on ramenait les rendez-vous manqués entre la mutualité et ses principaux partenaires syndicaux à des erreurs ou à des maladresses circonstantielles même si des
erreurs et des maladresses ont été commises. Notre congrès doit être un vrai moment d’approfondissement historique
et politique de ces difficultés. Faute de quoi chaque acteur va se retrancher dans ses certitudes et se replier sur son propre champ de légitimité : le terrain gestionnaire pour les mutuelles, le terrain
protestataire ou délégataire pour les syndicats. Aux Mutuelles de France nous avons conscience de ce danger pour des raisons qui tiennent certainement à notre culture d’acteur social alors que la mutualité, historiquement s’est toujours revendiquée comme une institution sociale républicaine. Ce qui se comprend dans un pays qui se définit, constitutionnellement, comme une République sociale.
Mais certains pensent que cette singularité de la FMF ne s’est pas manifestée au cours de la dernière période avec la force nécessaire.
Jean-Paul Panzani. L’examen attentif voire même critique de notre posture et de notre rôle dans la mutualité unifiée comme dans la conduite de la réforme de l’assurance maladie devra être fait ici avec le souci d’aller au bout des choses. Nous saurons avoir ces débats là. Je n’en doute pas un seul instant. Pour autant je ne voudrais pas que nous manquions de vérifier collectivement et démocratiquement quelle doit être l’utilité d’une Fédération des mutuelles forte et unie. Ceci reste à mes yeux la question essentielle. Vous savez, quand une organisation devient inutile ou étrangère à son objet, soit elle disparaît soit elle se fossilise. Je ne crois pas, sincèrement, que la Fédération des mutuelles de France soit guettée ni par sa disparition ni par sa propre fossilisation. En revanche notre fédération comme l’ensemble des autres familles mutualistes est confrontée au devenir de la mutualité comme forme d’organisation humaine. Car on voit bien que les nouvelles responsabilités ainsi que la nouvelle reconnaissance institutionnelle que la réforme de l’assurance maladie vient de donner aux organismes complémentaires sont à la fois pour le mouvement mutualiste une chance mais aussi un risque d’éclatement sous la pression gestionnaire. L’utilité de la Fédération des mutuelles de France doit se mesurer à cet horizon historique qu’est le devenir du mutualisme en France et au rôle qu’il pourrait jouer dans la construction d’une Europe solidaire. Notre fédération ne pourra pas assumer une telle ambition en ne fédérant les Mutuelles de France que sur des valeurs si dans le même temps elle ne peut pas les faire vivre par des actes. Comment le faire autrement qu’en fédérant des moyens aujourd’hui incapables de faire réseau ou masse critique.
Justement la nouvelle place des complémentaires c’est aussi un rôle plus important pour d’autres opérateurs ?
Jean-Paul Panzani. Comme beaucoup d’autres acteurs, qui parfois s’en inquiètent, je mesure l’enjeu formidable que va être la mise en place de l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire. D’autant que sa composition et son fonctionnement ne seront pas fixés par décret mais déterminés par les acteurs eux-mêmes. Cette instance doit être pilotée par la mutualité. En effet la légitimité de cette union dans sa composition comme dans son fonctionnement devra être incontestable, précisément parce que cette instance sera dotée de pouvoirs réels et étendus. La mutualité saura trouver les formes démocratiques capables d’assurer une représentation équitable de toutes ses composantes. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante. La façon dont va se mettre en place cette union du complémentaire doit être prise au sérieux par tous les autres acteurs car cela ne se résume pas à une simple lutte d’intérêts entre les mutuelles, les institutions de prévoyance et les assurances. Ce qui est en jeu c’est la capacité d’encourager une dynamique vertueuse entre l’obligatoire et le complémentaire. C’est bien la capacité de maîtriser et de réguler les coûts pour renforcer les possibilités de prise en charge collective et solidaire. C’est enfin faire en sorte que notre système de solvabilisation des dépenses ait une possibilité d’intervenir et d’agir sur les risques sanitaires et sociaux.