Quand il évoque cette opération, Jean-Claude Detilleux, président du groupe Crédit coopératif, est d’abord soucieux de l’inscrire dans un long cheminement car, dit-il, « nous avions déjà pris des virages importants en les menant nous-mêmes ». Dans les années 80, le Crédit coopératif est devenu « une banque à part entière » avec une gamme complète de services en élargissant sa clientèle, notamment en direction des associations. Puis est venue, de 1994 à 1999, la phase de la croissance externe (reprise des banques GMF, BTP, Pommier-Finindus, etc.) qui a permis d’accroître et de diversifier la clientèle, notamment dans les PME. « En quelques années, notre chiffre d’affaires a doublé », rappelle-t-il, faisant observer au passage que le Crédit coopératif a alors intégré une clientèle de particuliers « qui n’étaient pas une priorité auparavant ». Traditionnellement dédiée aux coopératives et au secteur de l’économie sociale, la banque, « sans s’éloigner » de ses origines, est ainsi devenue « plus forte, plus assise aussi, grâce à une profitabilité accrue ».
Des accrocs dans la recherche d’un partenaire
Passé un temps de réorganisation en 1999 et 2000, en vue d’une croissance organique effectivement au rendez-vous en 2001-2002, il fallait franchir une autre étape. Pourquoi ? « Notre notation financière, qui n’est pas à la hauteur de notre valeur », freine le développement des initiatives, explique Jean-Claude Detilleux qui, surtout, replace la problématique dans le contexte européen. A terme, quand l’Europe bancaire va se mettre en place, une fois l’actuelle phase de restructuration terminée en France, « notre taille peut être jugée trop petite ». D’autant, ajoute-t-il, « que nous sommes dans une situation quasi unique sur le marché français ; ce qui, bien entendu, ne nous gêne pas », mais qui intrigue davantage au niveau européen.
Or, sur le marché, « il n’y a pratiquement plus rien pour faire de la croissance externe, sauf dans des créneaux très ciblés dans lesquels nous avons investi l’an dernier ». La seule opportunité qui s’est présentée était la Banque Hervet, « d’une taille comparable à la nôtre et qui était en outre disponible, parce que l’Etat voulait la vendre ». Le Crédit coopératif n’avait « pas les moyens de l’acheter tout seul » et a imaginé trouver dans les Caisses d’épargne le partenaire idéal qui s’intéressait à la clientèle des PME « et souhaitait disposer d’expertise et de moyens accrus ». Un projet fut établi, « qui aurait très bien marché », mais les pouvoirs publics préférèrent céder leur participation au CCF, plus tard absorbé par le Britannique HBSC.
Ce travail mené en commun incita à poursuivre les discussions avec les Caisses d’épargne « pour voir s’il n’y avait pas quelque chose à faire ensemble ». « Cela avait bien commencé mais, ensuite, quand nous sommes passés aux travaux pratiques, nous avons constaté que nous n’avions pas la même conception fondamentale », raconte Jean-Claude Detilleux… Sans aucunement se prononcer sur l’évolution des relations consanguines entre les Caisses d’épargne et la Caisse des dépôts et consignations, il y voit l’augure des obstacles qui ont interdit d’aller plus loin.
Il n’empêche. « Le type de rapprochement que nous envisageons repose sur l’idée que notre modèle de construction, c’est le statut coopératif, porteur de démocratie et de proximité », répète Jean-Claude Detilleux dans un vibrant plaidoyer, sans omettre que cela se traduit, pour l’entreprise, par « une expertise forte, avec 50 % de cadres et une très bonne technologie » orientée vers les partenariats. « Notre façon de travailler, c’est de travailler avec les mouvements et nos sociétaires constituent notre capital. A tous les niveaux, puisqu’ils siègent dans nos comités locaux et à notre conseil national : c’est avec les mouvements et nos sociétaires que nous essayons d’avoir le maximum de partenariats pour construire ensemble. » Attaché à la spécificité d’une « banque de personnes morales », il veut y voir la prédominance du « thème de la banque solidaire » qui se décline avec des produits au label Finansol et s’affirme par la défense de valeurs « qui intéressent tout un ensemble de gens », et séduisent une clientèle croissante de particuliers.
Un intérêt commun
Si ce rappel des fondements du statut coopératif explique à ses yeux qu’il n’ait pas été possible d’envisager un autre schéma avec les Caisses d’épargne, il est, à l’inverse, à l’origine de la rencontre avec les Banques populaires et de la découverte de préoccupations communes. Dont la préparation à l’Europe qui se traduit par de nouvelles exigences techniques, « où l’on n’est pas obligé de tout faire par nous-mêmes, par exemple pour la mise en œuvre du futur ratio McDonough (voir Le Monde Initiatives n° 4, page 25) ». « De ce point de vue, les Banques populaires ont une approche intéressante qui consiste à s’allier avec d’autres groupes coopératifs dans les pays voisins », plaide Jean-Claude Detilleux qui souligne « la volonté commune de pratiquer la coopération et de rester dans l’univers coopératif, même s’il y a des pays où les partenaires sont difficiles à identifier ». Bien sûr, les Banques populaires « s’affirment » comme la première banque des artisans, des commerçants, des PME et, reconnaît-il, « ont une image coopérative en voie d’affirmation », mais il observe aussi, citant la présence de la Casden (banque mutualiste de l’éducation nationale) et les « relations importantes » que le réseau entretient, « dans les régions, avec les mutuelles », que « la réalité est plus nuancée que cela ».
Convaincre du bien-fondé de l’accord
Quand bien même, Jean-Claude Detilleux voit un avantage à cette situation. En effet convaincu « de l’attention nouvelle à l’économie sociale que manifestent les dirigeants des Banques populaires », il considère que c’est une chance supplémentaire pour le Crédit coopératif. Dans la configuration prévue, l’intérêt pour l’économie sociale se double « de l’intérêt pour le partenaire que nous sommes », ainsi assuré de son développement et de son rôle spécifique dans le groupe.
Un dernier argument a achevé de militer en faveur du rapprochement : les Banques populaires disposent d’une organisation claire « complètement finalisée depuis quelques années autour des différentes maisons mères ». Lesquelles possèdent le capital de la banque fédérale, elle-même organe central qui remplit toutes les fonctions nécessaires et qui, enfin, « possède l’essentiel de Natexis, devenue leur centrale de services, à qui elles ont transféré beaucoup de services communs ». « C’est une architecture dans laquelle on peut trouver sa place, tout en développant ses spécificités et en préservant son identité », conclut, sur ce point, Jean-Claude Detilleux.
Dès lors, l’opération présente tous les avantages et, en outre, correspond « à notre cahier des charges ». L’ensemble est équilibré et est « plus proche de notre modèle ». Parallèlement à la prise de controle de Natexis, cotée en Bourse, les Banques populaires ont de plus « réaffirmé leur ancrage coopératif ». Cela n’est pas étonnant, poursuit Jean-Claude Detilleux, certain de son choix, « car je dirais que ce sont des gens pragmatiques qui ont découvert les vertus du statut coopératif pour eux-mêmes et qui se disent que, s’ils ont compris cela, d’autres vont le faire », au niveau européen ou des PME-PMI, et que, par suite, « il vaut mieux connaître et maîtriser le mouvement que de le voir passer ». « Notre alliance s’inscrit pleinement dans ce processus », relève-t-il. « Cela donne un schéma qui, si on le pratique bien, sera valorisant pour les uns et pour les autres », au-delà des différences. « Nous sommes des partenaires ayant des préoccupations qui se recoupent, partageant les mêmes anticipations », et, ajoute-t-il, « dont l’arrimage se fonde sur la combinaison entre le statut coopératif et la loi bancaire, ce qui permet d’asseoir la cohésion d’un groupe de banques que garantit un contrôle suffisant sans nécessiter un contrôle capitalistique ». Et de constater que, sur le même raisonnement, les autres réseaux coopératifs « sont eux aussi engagés dans une démarche semblable », le développement du nombre de sociétaires et l’ancrage dans la coopération offrant une image de proximité et de référence à la démocratie.
Dans la pratique, il a fallu emporter l’adhésion, même si le patron du Crédit coopératif reste persuadé que, « quand on a des pensées qui flottent dans l’air, qu’elles se rencontrent et qu’il y a des opportunités, il faut savoir les saisir ». Mais la stratégie, il en convient, a surpris « un certain nombre de proches et le personnel aussi qui, finalement », a approuvé la démarche après des discussions au sein du comité d’entreprise. Après des modifications réglementaires ou législatives, nécessaires à l’adaptation, l’essentiel sera atteint : dans le groupe Banques populaires, l’entité Crédit coopératif préservera son identité dans une relation équilibrée et pourra œuvrer pour l’économie sociale. Après la perplexité et l’étonnement, il semblerait que les instances ou groupements du secteur soient disposés à en accepter l’augure.