La mèche a été allumée par 25 présidents de départements [1] dans un courrier à Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’Enfance, dans lequel ils décrivent une situation atteignant les limites du supportable : "La période estivale qui s’achève a été une fois de plus extrêmement difficile pour la protection de l’enfance : les lieux d’accueil d’urgence sont saturés, les professionnels travaillent dans des conditions dégradées, et les demandes de protection en attente s’accumulent". Le financement de cette politique publique est caduque et pose, de fait, la question de la gouvernance de cette politique de protection de l’enfance. Les présidents posent le constat de budget dédié en constante augmentation, souvent forte, alors que, d’une part, la protection de l’enfance recoupe plusieurs territoires de compétences (Dont certains étatiques) comme le handicap ou la justice, et que d’autre part, l’Etat se désengage de certains de ces derniers pour le laisser retomber dans la solidarité départementale déjà mise à mal. Ils appellent ainsi à l’organisation d’états généraux de la protection de l’enfance comme "un temps d’échange et de réflexion partagé avec l’ensemble des acteurs de l’aide sociale à l’enfance, de la prévention, de la justice, de l’éducation et de la santé, sans oublier les enfants et leurs familles, [est] indispensable pour sortir collectivement de cette crise". La CNAPE, qui regroupe les acteurs de l’enfance, a réagi et apporté une réponse point par point aux présidents. Force est de constater que l’écho n’a peut-être pas été celui attendu, tant la CNAPE ne s’engage pas vraiment dans le sillon ouvert par le courrier. Commençant par un constat sévère (mais vrai) "la protection de l’enfance en France, aujourd’hui, est marquée par un délabrement croissant, notamment du fait de l’impéritie [2] de sa gouvernance. La principale conséquence est l’atteinte quasi-systématique portée aux droits les plus fondamentaux des enfants, qu’il est crucial de protéger quel que soit leur territoire et quelle que soit leur origine", elle répond aux points du courrier. La discussion est bien entendu une solution, mais la CNAPE craint la longueur des débats qui nuirait encore à l’efficacité pour trouver des solutions à des problèmes que tout le monde connait, à "des constats déjà connus et partagés". La CNAPE rajoute une couche en appelant de ses vœux à la discussion entre acteurs et financeurs (Les dits départements) sans que ces derniers ne s’absolvent de leurs responsabilités.
Cette crise de la gouvernance de la protection de l’enfance se déroule, non sans hasard, dans un contexte de pression et de communication par les acteurs sur les risques encourus par les enfants, qu’ils soient à la rue, disparus ou non accompagnés ! Quelques chiffres pour animer ces réflexions. "Dans la nuit du 2 octobre, on comptait 2 822 enfants restés sans solution d’hébergement suite à la demande de leur famille au 115, faute de mises à l’abri disponibles. Une hausse de 42 % en un mois seulement" [3]. A cette date, ce sont 8 351 demandes non pourvues au total que le 115 n’a pas satisfaire. "43 202 signalements de disparitions de mineurs effectués en France en 2022" dont 95% de fugues. Et pourtant seuls 7% des Français connaissent le numéro à appeler en cas de danger pour un mineur. " Enfin, les 24 300 MNA pris en charge représentent 12 % des 201 400 jeunes accueillis à l’aide sociale à l’enfance.
Et pendant ce temps là, le PLFSS ne passe pas. Même la vénérable MSA tique sur les orientations et budgets du PLFSS 2024 et le fait savoir méthodiquement. Elle rend ainsi un avis défavorable sur le projet et indique que "d’une façon générale, le Conseil d’administration majoritairement relève l’absence de vision globale des enjeux et un raisonnement siloté par branche".
La copie est à revoir, mais je ne suis pas sûr qu’elle le sera.
Bonne lecture,
Bonne fin de semaine.
Guillaume Chocteau
[1] Cette lettre ouverte est co-signée par 25 président.e.s de Départements : Christine Téqui (Ariège) ; Hélène Sandragné (Aude) ; Philippe Bouty (Charente) ; Christian Coail (Côtes-d’Armor) ; ; Germinal Peiro (Dordogne) ; Sébastien Vincini (Haute-Garonne) ; Philippe Dupouy (Gers) ; Jean-Luc Gleyze (Gironde) ; Kléber Mesquida (Hérault) ; Jean-Luc Chenut (Ille-et-Vilaine) ; Xavier Fortinon (Landes) ; Michel Ménard (Loire-Atlantique) ; Sophie Borderie (Lot-et-Garonne) ; Sophie Pantel (Lozère) ; Chaynesse Khirouni (Meurthe-et-Moselle) ; Fabien Bazin (Nièvre) ; Jean-Claude Leroy (Pas-de-Calais) ; Bruno Bernard (Métropole de Lyon) ; Hermeline Malherbe (Pyrénées-Orientales) ; Dominique Versini (Paris) ; Christophe Ramond (Tarn) ; Michel Weill (Tarn-et-Garonne) ; Jean-Claude Leblois (Haute-Vienne) ; Stéphane Troussel (Seine-Saint-Denis) ; Françoise Laurence-Perrigot (Gard)
[2] impéritie : féminin, du latin imperitia (« inexpérience, ignorance »). Incapacité, inhabileté ; ignorance de ce qu’on doit savoir dans sa profession (Wiktionnaire)
[3] 1990 à fin août