1- Le regard de Dominique ANDOLFATTO
Bernard Zimmern et son équipe de l’IFRAP (Institut pour la recherche sur les administrations publiques) publient un essai sur le pouvoir syndical en France qui se veut décapant.
Le livre démarre sur un paradoxe soulignant combien l’Etat français demeurerait soumis aux syndicats alors que ces derniers, incapables - selon l’auteur - de coller aux attentes et aux initiatives individuelles, sont entrés en déclin.
Puis le livre passe en revue quelques questions brûlantes. Tout d’abord celle du droit de grève dont l’exercice relève toujours de la plus grande confusion, favorisant « la minorité radicale », conduisant à « prendre en otage le public », s’exerçant sans aucun contrôle. L’argent des syndicats soulève d’autres interrogations. Le « brouillard » ou le « risque de népotisme » qui règnent sont dénoncés. Les cotisations obligées du contribuable ou de l’assuré social - sans qu’ils n’en sachent rien - sont évalués. Un coup de projecteur - sans doute le plus fouillé du livre - sur le SNUI (Syndicat national unifié des impôts) éclaire plus précisément le système d’action syndicale. Cette organisation syndicale serait-elle le vrai patron des Impôts ? Et de rappeler minutieusement comment le SNUI a torpillé la réorganisation des services - dans un souci d’économie et de rationalisation - projetée par le ministre des finances, Christian Sautter, en 2000 et ferait ou déferait la politique fiscale en France. Puis le livre interroge tout à tour les questions du temps de travail, du maquis des primes des fonctionnaires, de la « bureaucratie envahissante et aliénante » qui rongent bien des administrations et établissements publics. Plus largement, cela conduit à s’interroger sur le service public à la française qui, contrairement à une idée reçue, est loin d’être aussi exemplaire qu’on pourrait le croire. Or - démontre Bernard Zimmern - les résistances syndicales et corporatives et, face à elles, la démission des élites politiques, ne permettent pas d’engager - ni même de penser - le changement pourtant nécessaire et inéluctable. L’attitude des syndicats face aux difficultés de l’emploi et du chômage fait également l’objet d’une analyse originale et radicale. Les égoïsmes catégoriels, une conception statique et stérilisante de l’économie, en particulier, sont mis en cause.
Le livre invite enfin à un voyage dans l’Europe syndicale qui, de Rome à Stockholm, de Londres à Berlin, témoigne des changements quasi-révolutionnaires en cours : individualisation des contrats de travail au sein de la fonction publique, salaires au mérite, objectifs clairs assignés aux services publics, mesures de simplification administrative, responsabilisation des acteurs du système (qui signifie contrôle et, éventuellement, poursuite en cas d’abus de pouvoir), réforme de la protection sociale… le tout conduit avec l’assentiment de syndicats résolus et confiants dans ces changements et une projection dans l’avenir que ces organisations, comme leurs interlocuteurs, semblent tant redouter en France.
Si Bernard Zimmern et son équipe soulèvent bien des questions brûlantes, au cœur de l’actualité sociale et plus largement de notre système politique-administratif, on pourra regretter toutefois un ton qui cède facilement à la polémique, une argumentation trop souvent à la hache, une construction pas toujours rigoureuse, surtout un défaut d’enquête sur le fond qui conduit à s’appuyer sur d’autres enquêtes ou des travaux universitaires - tels ceux de Dominique Labbé, par exemple - sans apporter véritablement de plus-value par rapport à ces derniers, si ce n’est l’affirmation de choix radicaux, qui conduisent à glisser dans le registre de la dénonciation, voire de la stigmatisation. Les questions soulevées n’en existent pas moins. Elles interrogent sur la France, ses blocages, ses échecs. Elles montrent un paysage syndical en miettes mais des organisations accrochées à certaines représentations et à ce qui ressemble à des « privilèges ». Le grand mérite du livre est de « mettre les pieds dans le plat ».
2- Le regard de Bernard VIVIER
Il y a dix-huit ans de cela, un journaliste et essayiste à succès était venu, pendant de longues semaines, consulter la bibliothèque et la documentation de l’Institut supérieur du travail. Son étonnement professionnel (une des grandes qualités du journaliste), son sérieux dans les recherches nous avaient alors procuré de nombreux échanges et discussions. Nous avions sympathisé alors et bien au-delà de la sortie de son livre, sur lequel j’avais eu un regard déçu. L’ouvrage publié, par François de CLOSETS - c’est de lui qu’il s’agissait - s’intitulait « Tous ensemble. Pour en finir avec la syndicratie » (Le Seuil, 476 pages, 1985). C’était une charge de cavalerie lourde contre le « détournement de notre vie sociale par la syndicratie ». En quatorze chapitres, le procès était instruit, et le verdict inévitable, que l’on imagine sans peine. Un quinzième chapitre tentait de donner une note constructive au livre, en soulignant combien les Français s’étaient réconciliés avec l’entreprise, rendant désormais inutile « l’ordre bureaucratique » des syndicats.
La sortie du livre avait fait quelque bruit, provoquant l’ire des syndicalistes et le contentement de certains patrons. Et puis, la « bulle » éditoriale s’étant effacée, on apprit à oublier ce genre d’ouvrage.
Voici qu’il surgit à nouveau aujourd’hui, sous la plume de Bernard ZIMMERN, pétillant énarque et polytechnicien de 73 ans et auteur, il y a deux ans, d’un brûlot « Les profiteurs de l’Etat (Plon, 2001), vendu à plus de 50 000 exemplaires. Fortement promu par « Le Figaro Magazine » qui lui a consacré (31 octobre 2003) une couverture remarquée et un important dossier, l’ouvrage connaît à son tour une petite notoriété, recevant tantôt le qualificatif de « mauvais pamphlet » (Syndicalisme hebdo CFDT, 15 novembre 2003), tantôt celui de « livre-évènement » (Yvon GATTAZ, ancien président du CNPF, Le Figaro, 03 décembre 2003).
Le livre n’est pas, en soi, un évènement. Il ne révèle pas le résultat d’une enquête de terrain approfondie, il ne délivre pas une analyse à la fois profonde et innovante. Il se situe dans le droit fil du travail de F. de CLOSETS, l’actualisation des données et l’accent mis sur la fonction publique en plus.
C’est peut-être pour cela qu’il présente un certain intérêt, à savoir qu’en près de vingt ans, les esprits n’ont guère évolué !
Côté syndical, l’ouvrage est souvent taxé d’agressif et de partial. Assurément il l’est. D’une certaine manière, c’est tant mieux. L’ardeur et l’idéal des militants se trouvent si souvent étouffés par la bureaucratie des appareils qu’une bousculade éditoriale ne peut pas faire de mal. Sauf à accepter la balkanisation du paysage syndical français, son repli sur les bastions encore protégés du secteur public et la montée d’un radicalisme syndical et politique nouveau, les syndicats actuels savent bien l’importance d’une évolution de leur culture des relations sociales (encore marquée par 150 ans de lutte des classes) et de leurs structures à caractère régimentaire (à l’heure d’internet, la « mobilisation de masse » et l’occupation des usines se démonétisent vite…).
Les descriptions féroces du pouvoir syndical dans l’administration publique ne sont pas sans fondement. L’exemple du ministère des finances, où sont établis Force ouvrière (au Trésor) et le SNUI (aux impôts) est éloquent. L’ancien ministre du gouvernement JOSPIN, Christian SAUTTER se souvient certainement encore des circonstances de son éviction, sous pression syndicale.
Pour autant, les louanges portées à l’ouvrage par certains ne font pas de lui un travail décapant et utile. Car le livre fustige trop pour corriger bien. Le commentaire de Yvon GATTAZ « Les performances des entreprises sont inversement proportionnelles à leur taux de syndicalisation » (Le Figaro, 03 décembre 2003) produit peut-être quelques approbations en fin de banquet. Il n’apporte aucune solution de remplacement crédible. La question de fond n’est pas abordée, à savoir l’organisation des relations sociales, la régulation des besoins et des passions collectives, dans nos entreprises et notre société, pour assurer le renouvellement - ou le dépassement - du système actuel.
Plus qu’un « livre-révolution » (comme le loue Y. GATTAZ), c’est d’un « livre réflexion-évolution » dont nous aurions besoin. Le chapitre sur la nécessité d’un Parlement plus responsable et plus présent dans ses missions de contrôle est, sur ce point, intéressant. Dommage qu’il soit noyé dans un ensemble devenu insignifiant parce qu’exagéré.