Jacques Malet de Recherche et Solidarités nous éclaire sur les chiffres du salariat associatif

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Jacques Malet de Recherche et Solidarités nous éclaire sur les chiffres du salariat associatif

Ressources Solidaires : Matthieu Hély a répondu au collectif des associations citoyennes sur les chiffres des destructions d’emplois associatifs en 2013 et attendus en 2014. De votre point de vue, quelle observation en 2013 ? Et quelle tendance en 2014 ?

Jacques Malet : Le suivi trimestriel de l’emploi associatif que nous avons construit très progressivement avec les services de l’ACOSS-URSSAF, nous aide à mieux comprendre les mouvements conjoncturels : c’est ainsi que nous n’avons pas hésité à alerter les acteurs et les décideurs, sur une sorte d’effet retard, subi par le secteur, au dernier trimestre 2010, deux années après celui qu’a subi l’ensemble du secteur privé.
Ce phénomène correspondait au début de ce que nous nommons l’année associative, calée le plus souvent sur l’année scolaire, en l’occurrence l’année 2010-2011 qui a été difficile : un recul de l’ordre de 20.000 emplois en quatre trimestres consécutifs de baisse. L’année 2011-2012 a permis de regagner à peu près la moitié de cette perte, et le résultat de l’année 2012-2013, désormais connu, se traduit au bilan par une stabilité.
Pour les puristes qui voudraient disposer de la même observation selon l’année civile, rappelons quelques chiffres que nous avons publiés, en partant de 2007, dernière année avant la crise financière et économique. Le secteur associatif a progressé de 23.650 emplois en 2008, de 38.150 emplois en 2009, et de 31.300 emplois en 2010. En cumul, pendant que l’ensemble du secteur privé souffrait, le secteur a donc progressé de 5,4%. L’effet retard a été sensible au titre de l’exercice 2011, avec un retrait d’environ 11.000 emplois, dont un grand nombre dans le secteur de l’aide à domicile. Sur ce point, l’hypothèse émise par Mathieu Hély, quant à une possible mutation de certains emplois classiques en recrutement de jeunes en volontariat de service civique, ne semble pas correspondre à la réalité, après vérification statistique.
L’année 2012 a permis de regagner 5.600 emplois et l’année 2013 devrait se terminer sur un bilan équilibré, que nous ne pourrons confirmer que dans quelques semaines, lorsque nous connaîtrons les résultats du dernier trimestre. Le pronostic est en effet difficile, car il dépend tout à la fois de la disparition d’un certain nombre d’emplois, dans certains secteurs, et de la dynamique de création des emplois d’avenir.
Sur ce sujet, dans notre dernière note de conjoncture (janvier 2014), nous avons souligné que l’évolution positive de l’emploi associatif au 3ème trimestre 2013 correspondait en effet à la montée en puissance des recrutements des jeunes en emploi d’avenir, pour une part non négligeable compensée par la destruction d’autres emplois davantage rémunérés. Ce qui s’est traduit par une augmentation du nombre de salariés (0,3%) sans augmentation plus forte de la masse salariale (0,3%).
Pour l’année 2014, nous ne validons en aucune manière le chiffre de 40.000 suppressions qui a été avancé, car il ne repose sur aucune analyse précise, et ne reflète pas, en tout cas, ce qui a été constaté en 2013. Et nous souhaitons préciser que notre suivi de l’emploi associatif s’effectue à partir de la « variation du stock », évoquée plus haut, et de l’observation du flux d’entrée, via les déclarations d’embauche. Ainsi, pour 2012, dernière année exploitée de ce point de vue, 177.000 contrats à durée indéterminée ont été signés, représentant près de 10% du total des salariés. Si l’on observe la variation de l’emploi entre 2011 et 2012, et si l’on ajoute ce nombre de CDI, on parvient à un flux de sortie d’un minimum de 172.000 personnes.
Il ne faut donc pas confondre ce flux, relativement constant et normal, de départs de salariés, lié à leur âge, à la fin de leur mission ou à des difficultés rencontrées par les associations, et la notion de destruction d’emplois. Pour autant, la baisse des dotations d’Etat et des collectivités, la diminution du nombre d’adhérents dans certains secteurs, et les moments de découragement que vivent parfois les dirigeants, ne sont pas de nature à provoquer l’optimisme pour les mois à venir.

Ressources Solidaires : Avec vos analyses depuis plusieurs années, vous êtes aussi un observateur aguerri de l’évolution du salariat associatif. Fait il encore bon être salarié dans une association ? Et au regard du baromètre de la qualité de vie au travail dans l’ESS de 2014, que faudrait il faire pour améliorer la situation / le sentiment des salariés associatifs ?

Jacques Malet : Il est clair que le salariat associatif dépend tout autant des moyens dont disposent les employeurs que des missions spécifiques qui sont exercées. L’organisation d’un festival, d’une compétition de haut niveau, ou encore l’intervention humanitaire liée à une catastrophe, correspondent forcément à des missions de courte durée. Un éducateur sportif ou un professeur de danse n’ont que rarement la possibilité d’exercer un travail à temps plein dans une même association. Doit-on parler de précarité ou d’adaptation aux besoins et aux moyens ?
Hormis dans certains secteurs comme l’aide à domicile, le turn over des salariés associatifs ne semble pas très différents de celui du secteur privé. Et nous avons maintes fois signalé que le secteur associatif embauchait proportionnellement deux fois plus de salariés de 50 ans et plus, que le reste du secteur privé : un double signe, d’intérêt de personnes qui souhaitent se réorienter pour donner du sens à leur vie professionnelle, et de bonne compréhension de la part des employeurs qui connaissent et reconnaissent la valeur et l’expérience de ces personnes.
Nous avons également vu la sortie d’une étude récente sur les rémunérations dans les associations : nous attirons l’attention sur la prudence nécessaire quant à ce type de constat. D’une part, le secteur associatif est d’une très grande diversité et les rémunérations sont très variables ; d’autre part, la rémunération ne constitue pas le seul élément déterminant aux yeux des intéressés : la nature de la mission et son « sens », et le contexte dans lequel elle s’exerce, sont aussi des points essentiels.

Ressources Solidaires : Selon vous, de l’oeuf (le bénévolat) ou de la poule (le salariat associatif), qui tire l’un, qui tire l’autre ? L’articulation historique du bénévolat qui créé du salariat, est elle toujours autant vraie ?

Jacques Malet : Pour prendre votre image, somme toute assez réductrice concernant le bénévolat :o), les deux entités sont intimement liées. Rappelons toutefois que cette dualité n’existe que dans moins de 15% des associations, la plupart ne fonctionnant qu’avec la ressource humaine bénévole. Sans qu’il y ait forcément de lien de causalité, nous observons une augmentation du nombre de salariés, sur une période longue. Et sur une période récente, nous constatons une réduction alarmante du nombre de bénévoles réguliers : depuis 12,5% de Français agissant en 2010 sur un rythme hebdomadaire dans une association, à seulement 10,5% en 2013.
L’engagement des bénévoles permet à une association de se développer, et parfois de créer un emploi quand il n’y en a pas. D’un autre côté, la présence rassurante d’un salarié, colonne vertébrale d’une association, peut permettre l’engagement de bénévoles de plus en plus nombreux. N’oublions pas, non plus, les personnes qui ont un projet, le mettent en œuvre dans le cadre d’une association qui va les salarier, et constituent autour d’eux un groupe de bénévoles motivés par le même projet.

Cet entretien me permet d’indiquer que les acteurs du secteur, et aussi les décideurs, disposent désormais des repères et de chiffres clefs actualisés dans chacune des régions et dans chacun des départements (www.recherches-solidarites.org rubrique territoires. Nous espérons ainsi contribuer à une meilleure connaissance, et surtout à une reconnaissance encore très largement attendue, du mouvement des associations en France.

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