Ces conflits ont généralement des effets calamiteux pour l’ensemble des parties prenantes de l’organisation, et laissent le plus souvent les dirigeants bénévoles désemparés, sincèrement convaincus d’avoir fait de leur mieux et ne comprenant pas les motivations de leurs salariés. Ceux-ci ne leur paraissent plus investis dans le projet de l’association, mais arc-boutés à leur Convention Collective et à leurs conditions salariales. Cet état de fait, ajouté à d’autres éléments assez voisins, impacte sur la difficulté rencontrée aujourd’hui par les associations dans le recrutement de nouveaux administrateurs.
Parallèlement, on peut faire le constat que ces « entreprises sociales » ont bien peu recours à des outils ou méthodes dans le champ du management, et semblent rarement à même d’expliciter leur politique "Ressources Humaines", que ce soit en interne ou en externe.
Volontairement ou non, elles semblent avoir fait le choix d’une approche plus empirique et intuitive que stratégique et managériale pour le traitement des questions liées à la gestion des salariés.
On aurait pu au contraire imaginer que les associations, en tant que plus gros employeur de la sphère de l’Economie Sociale, aient eu à cœur d’être « à la pointe » en ce domaine du management, poursuivant ainsi un double objectif :
→ Incarner en interne les valeurs dont elles sont porteuses en externe (promotion d’un mode de relations sociales et humaines accordant plus de poids à l’homme qu’à « l’économique »)
→ Promouvoir ces valeurs, dans une logique de contagion positive, en en faisant bénéficier en 1er lieu ses salariés, et mener ainsi la mission de « laboratoire d’innovation sociale », de transformation et d’amélioration du cadre de vie qu’elles revendiquent par ailleurs de plus en plus fréquemment.
Ces associations employeurs ne sont certes pas les seules entreprises dont le management soit peu formalisé, et paraisse plus aléatoire que produit par une réflexion construite, stratégique.
Mais les spécificités de ce type d’organisation nous amènent à poser que ces entreprises associatives rencontrent des freins qui leur sont propres dans l’instauration de politiques de management, outre ceux que l’on peut rencontrer également dans les entreprises de tailles comparables du secteur marchand.
Ce thème est à contextualiser dans son cadre d’appartenance, celui de l’Economie Sociale. Cette sphère d’activité qui regroupe mutuelles, coopératives et associations, se fédère autour de valeurs, de modes organisationnels revendiquant le primat de l’homme sur le capital et la mise en acte de principes démocratiques.
Tout au long de leur siècle d’histoire, les associations ont eu à concilier ce cadre éthique avec les contraintes et attentes de leur environnement. Ainsi, leur coopération dans la complémentarité avec les pouvoirs publics s’est souvent traduite, dans les faits, par une relative instrumentalisation des associations par leurs "donneurs d’ordre" publics, au détriment de leur indépendance économique et politique.
Parallèlement, la suprématie croissante d’une pensée économiste, l’installation de la "crise économique" et d’une mondialisation fortement empreinte de logique libérale ont imposé aux associations une rationalité nouvelle faite de rentabilité, d’efficience. Certaines associations se sont alors banalisées, tendant à sacrifier leur mission politique sous la pression de la "logique d’entreprise" et de la loi du Marché.
Or ces employeurs associatifs, outre le "projet social" et non lucratif qui les définit, répondent à des motivations bien différentes de celles de l’entreprise classique.
La spécificité de la gouvernance associative est en effet de réunir des acteurs civils désireux de se mobiliser pour une "cause", le statut d’employeur n’étant qu’un avatar de l’action entreprise. Cet engagement personnel, ce militantisme est le plus souvent déterminant dans la représentation que ces "patrons" ont de leur rôle, influant sur les modes de recrutement (et les profils) de leurs Directeurs, sur les politiques de management de leurs salariés (ou sur leur absence).
Or cette culture de l’engagement, spécificité et richesse de la sphère associative, montre toutes ses limites dès qu’elle est érigée en cadre de lecture des relations salariales, comme grille unique et pertinente de compréhension des rapports de production, fondatrice de pratiques managériales.
Cette faiblesse des représentations de leur rôle managérial par les responsables bénévoles vient se conjuguer, dans les Petites et Très Petites Associations, avec des modes d’organisation laissant peu ou pas de place pour ce qui ne relève pas de l’action quotidienne, permettant peu aux Directeurs de se consacrer à des tâches "stratégiques" nécessitant prise de recul, analyse distanciée. La proximité entre les personnes, la convivialité et une certaine "fraternité dans l’engagement" (présupposé commun) forment le fond culturel du management associatif, quand ils ne tiennent pas lieu de mode de gestion de la relation salariale.
Les salariés des champs considérés, quant à eux, sont soumis à des tensions propres à leur activité, telles que l’évolution de leurs professions, l’usure professionnelle, la cohabitation (pas toujours bien conçue) avec des acteurs bénévoles ou en Emplois Aidés, les évolutions de la commande publique, etc. Ces facteurs viennent impacter sur leur appétence et leur bien être professionnels, renforçant la nécessité d’une prise en compte managériale pertinente.
Une enquête réalisée récemment à l’occasion d’une recherche sur ce thème ("Le management des salariés dans les associations", G. REGNAULT, 2003) montre le décalage fort entre d’une part ces différents niveaux d’enjeu, et d’autre part les représentations et pratiques en vigueur dans de nombreuses associations.
Un relatif angélisme préside souvent à la gestion des relations salariales dans ces dernières, imputable à une culture de la convivialité comme stratégie managériale "nécessaire et suffisante". Si des méthodes, techniques ou attitudes plus rigoureuses ont pu être observées à l’occasion de ce travail d’enquête, elles ne semblaient que rarement reliées à une politique de management élaborée, lisible et étayée.
En l’absence de telles politiques, les actions (et réactions) des dirigeants sont déterminées au moins autant par leurs "traits de personnalité" que par leurs éventuelles formations professionnelles. Les problèmes et conflits salariaux sont vus comme des situations individualisées, sujettes à réponses personnalisées. Le management des salariés est ainsi plus une source de difficultés qu’un problème…
Pris dans l’action entre logique de convivialité et logique d’entreprise, les dirigeants, à défaut d’interroger les situations de travail vécues quotidiennement par leurs salariés, semblent miser tacitement sur un militantisme régulateur des relations. Mais paradoxalement celui-ci ne peut pas s’exprimer dans la majorité des configurations observées, du point de vue de l’organisation de leur vie démocratique, de la place qui y est faite à la participation des différentes parties prenantes…