De la caricature à l’impasse

Publié le

De la caricature à l'impasse

Des hommes sont morts, des journalistes sont emprisonnés ou sanctionnés, des communautés entières se crispent et se replient sur elles-mêmes ; la publication dans un journal danois de 12 caricatures du prophète Mahomet déchaîne les passions et les haines. Voici que nous voyons fleurir d’infâmes caricatures sur la destruction des juifs d’Europe. Comme si un fait historique pouvait être confondu avec un dogme, comme si caricaturer Mahomet avait un quelconque rapport avec la négation d’un génocide. Nauséabond.

Un des fondements des sociétés démocratiques se trouve dans la liberté d’expression. Cette liberté s’applique non seulement aux informations et aux idées en adéquation avec le sentiment général mais également à celles qui dérangent, voire qui choquent profondément les gouvernements ou telle ou telle partie de la population. Les religions n’échappent pas à cette règle, encore moins dans des sociétés profondément sécularisées qui, à juste titre, refusent d’étendre les interdits d’un dogme au-delà des convictions de chacun. L’Islam, comme toute autre religion, doit s’habituer à vivre dans ce contexte. Dans une société apaisée, chacun devrait trouver naturellement les limites au-delà desquelles le propos devient insulte. En dernière instance, le recours, qui doit rester exceptionnel, à la justice permet de sanctionner les abus avérés.

Tels sont les principes et rien ne justifie d’y déroger. Mais est-ce seulement cela qui est en jeu dans ce processus infernal ? Les réactions venues d’Europe ou du monde musulman montrent que bien plus est en cause. Si certaines des caricatures sont drôles, d’autres de mauvais goût ; celle représentant Mahomet en bombe humaine est effectivement choquante. C’est un sophisme de prétendre que seuls les intégristes peuvent se reconnaître dans ce dessin. On voit mal comment interpréter ce qui est destiné à être compréhensible au premier degré, autrement que comme l’assimilation du premier symbole de l’Islam au terrorisme. Sans compter le contexte danois ou le gouvernement, allié à un parti d’extrême droite, pratique une politique ouvertement xénophobe.

Défendre la liberté d’expression n’implique pas d’abdiquer notre esprit critique quant au sens de ces caricatures. On peut, certes, soutenir que le jugement est libre et qu’il n’est pas interdit de penser qu’une religion (ou les religions) est, par nature, porteuse de violence. Cette forme d’essentialisme a pour corollaire la négation de chaque individu qui n’est plus alors que le rouage d’un vaste dessein. On sait où mène ce genre de raisonnement. Mais, il est vrai qu’il est de bon ton, en France, sous couvert d’une laïcité détournée de son sens, d’exprimer, au moins inconsciemment, le rejet des musulmans, français ou non, sous couvert d’une critique de l’Islam. L’impunité dont bénéficient les éructations de P. de Villiers contre « l’islamisation de la France » trouve aussi sa source dans l’obsession anti-religieuse d’un Philippe Val. La blessure ressentie par les Européens de confession musulmane et la violence, injustifiable, des réactions dans certains pays arabes trouvent à s’alimenter dans ce mépris et les discriminations dont ils sont victimes.

Ne soyons pas dupes, nombre des manifestations sont le résultat de manipulations de gouvernements arabes qui cherchent par là à se refaire une virginité et à concurrencer les islamistes sur leur terrain. Ceci leur permet, de plus, de réfuter le système démocratique qui permettrait de telles dérives... Il n’empêche : la résonance de ces 12 dessins montre que ces populations qu’elles soient européennes ou non vivent encore l’Islam comme la seule dimension sociale et politique où elles peuvent trouver espoir et réclamer le respect qu’on leur refuse par ailleurs.

La démocratie, les droits de l’Homme sont d’autant moins crédibles que leurs portes drapeaux ne cessent de fouler aux pieds les principes qu’ils proclament. Cela rend encore plus intolérable la commisération affichée des USA, de la Grande-Bretagne ou du gouvernement français qui, tout en tolérant ou commettant les pires injustices, proclament leur attachement au respect de l’Islam pour tenter de calmer la colère de peuples entiers. Le facteur religieux devient alors le rideau derrière lequel on cache les questions politiques. Défendre la portée universelle des valeurs de démocratie et de liberté, c’est offrir aux peuples du monde entier un espoir autre que la caricature destructrice de ces principes.

Autres articles dans cette rubrique

close