Alcool et réseaux sociaux : pourquoi il faut interdire la publicité en faveur de l’alcool par les influenceurs

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Alcool et réseaux sociaux : pourquoi il faut interdire la publicité en faveur de l'alcool par les influenceurs

Faut-il continuer à inciter les adolescents à boire de l’alcool tout le temps et en toute occasion ? Cette question est cruciale au moment où les débats sur la proposition de loi visant l’encadrement des pratiques des influenceurs se tiennent à l’Assemblée nationale. Alors que les jeunes sont les plus réceptifs à la publicité faite par des influenceurs, et que les lobbies de l’alcool sont déterminés à les séduire, Addictions France appelle les députés à prendre à bras le corps cet enjeu de santé publique et à interdire la promotion de l’alcool par des influenceurs.

Pour toucher un public jeune, les industriels misent sur les influenceurs

Le marketing d’influence est devenu en quelques années un levier incontournable des stratégies de communication des entreprises. Les industriels de l’alcool profitent ainsi de l’aura des influenceurs, de la proximité construite avec leurs communautés, et parviennent à faire oublier qu’un contenu, en apparence anecdotique, est bel et bien une publicité.

Ils savent parfaitement manier les codes des jeunes. Par exemple, le groupe industriel Gérard Bertrand [1] a fait appel à une influenceuse suivie par 500 000 abonnés. Le concept : associer la cuvée « Côte des Roses » à un univers glamour, en mettant en scène l’influenceuse dans des situations de création artistique et de soirées festives.

Autre cas d’école, le géant de la bière Carlsberg s’associe actuellement aux influenceurs sur les pistes de ski, pour intégrer la bière dans ce mode de vie partagé à des milliers d’internautes, dont des mineurs.

Les publicités réalisées par des influenceurs en faveur de l’alcool ne sont pas anodines : au moins 68% des adolescents fréquentent les réseaux sociaux [2], et ils sont davantage incités à consommer de l’alcool lorsque les influenceurs qu’ils suivent en font la promotion [3]. En témoigne cette jeune fille de 17 ans devant l’image d’un influenceur tenant une pinte Heineken en soirée : « J’ai beaucoup aimé l’image, ouais, les couleurs et tout ça. Et ça m’a donné vraiment envie de boire. Je me suis projetée avec mes amis et tout. » [4]

Observations directes et perceptions "EXPOSITION AU MARKETING DES PRODUITS ALCOOLISÉS CHEZ LES ADOLESCENTS (EMPAA)" Septembre 2020 OFDT Carine Mutatayi, Stanislas Spilka (Dir.)

La nécessité de résister aux arguments trompeurs de l’industrie de l’alcool

Dans les débats en cours, les lobbies de l’alcool souhaitent faire bonne figure en proposant une fausse solution : rappeler que les influenceurs doivent respecter la loi Evin [5].

En réalité, ces industries savent qu’il est impossible de contrôler toutes les publicités émises par les influenceurs : entre octobre 2021 et février 2023, plus de 7 000 contenus ont été observés par Addictions France et l’association Avenir Santé.

Récente story d’une influenceuse dont les contenus ont déjà été jugés illicites.

Et si les publicités en faveur de l’alcool sont encadrées par la loi Evin, force est de constater que celle-ci n’est ni respectée – comme le prouve la récente victoire d’Addictions France à l’encontre de Meta – ni suffisante face au volume de publicités. Pis encore, malgré une condamnation de Meta pour cause de contenus illégaux en faveur de l’alcool, les influenceurs concernés persistent dans leurs pratiques (voir ci-contre).

Surtout, les représentants des filières alcool omettent de souligner qu’au nom de la protection de la santé des mineurs, la diffusion des publicités « alcool » sur des médias prisés des jeunes, tels que le cinéma et la télévision, a tout bonnement été interdite par la loi Evin. Aujourd’hui, la loi doit s’adapter à l’évolution des pratiques : pour revenir à l’esprit d’une loi qui avait à cœur de protéger les jeunes, la publicité pour l’alcool par les influenceurs doit être interdite.

Mais cette logique de santé publique se confronte à la vision purement mercantile des alcooliers. La filière viti-vinicole ne cache pas vouloir séduire les jeunes pour relancer la consommation de vin, quitte à miser sur TikTok, un média réseau social très populaire chez les adolescents [6]. Le groupe Pernod Ricard a quant à lui affirmé faire appel à des influenceurs « avec au moins 70 % de followers majeurs » – donc 30% de mineurs [7].

Selon Addictions France, il est inconcevable que l’industrie de l’alcool se base sur la captation d’un public mineur pour développer son chiffre d’affaires, au regard des risques de la consommation à cet âge. L’association appelle donc les parlementaires à se saisir de la question.

Note de position "Encadrer le marketing d’influence en faveur de produits à risques : un impératif de santé publique"

[1105 millions d’euros de chiffres d’affaires selon un article du Monde

[2Chiffre du Baromètre du numérique de l’ARCOM, sous-estimé

[3OFDT, Enquête EMPAA, 2020

[4Propos recueillis dans le cadre d’une étude menée par l’EHESP, visant à étudier l’influence du marketing alcool sur les réseaux sociaux chez les adolescents

[5Voir cet amendement

[6S. El Mosselli, « TikTok annonce la mise en place, pour les mineurs, d’un avertissement au bout d’une heure d’utilisation », Le Monde, 02/03/2023

[7V. Manilève, « Influenceurs et alcool, les zones grises de la loi Evin », Le Monde, 03/03/23

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