Depuis plus d’un an, AIDES mène un travail de fond auprès du cabinet de la Ministre de la santé et des parlementaires afin d’améliorer le projet de loi de Santé discuté depuis le 17 mars à l’Assemblée.
Lutte contre les refus de soins, accompagnement à l’injection, programmes d’échanges de seringues en prison, accès au traitement préventif anti-VIH, tiers payant, meilleure représentativité des malades : la contribution de AIDES, en lien avec ses partenaires associatifs, illustre l’importance des sujets abordés dans ce projet de loi pour la lutte contre le sida et les hépatites virales.
L’Histoire a d’ailleurs montré que les avancées obtenues par les acteurs de la lutte contre le sida ont souvent profité à la société toute entière : souvenons-nous de l’accès au dossier médical, aux droits des patients, du régime des ATU [1] ou de la place des usagers dans la gouvernance du système de santé....
C’est dans cet esprit que AIDES publie aujourd’hui ses axes de travail et les 45 amendements au projet de loi santé soutenus ou proposés par l’association. Pour qu’une fois de plus l’expertise des malades profite à la santé de tous.
Axe 1 - Refus de soins : peut mieux faire !
Malgré nos alertes répétées, les discriminations subies par les usagers de santé restent un frein majeur à l’accès aux soins. Discriminations pour raisons sociales (refus de soigner les titulaires de l’AME ou de la CMU), en raison de l’état de santé (refus de prendre en charge les personnes vivant avec le VIH ou une hépatite), de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou de l’âge, elles concernent encore 15 à 25% des praticiens selon les spécialités et la nature de la discrimination. Une situation inacceptable sur le plan éthique et inopérante en termes de santé publique et d’économie de la santé. En favorisant le renoncement aux soins et les prises en charge tardives, elle met en danger les malades et décuple les coûts.
AIDES a donc proposé plusieurs amendements à l’article 19, aujourd’hui très insuffisant. Nous proposons :
d’élargir le dispositif aux refus de soins "déguisés" : délais déraisonnables ou horaires tardifs proposés lors de prises de rendez-vous, orientation systématique et non justifiée vers les urgences hospitalières, traitement différenciés...
d’inverser la charge de la preuve : pour que ce ne soit plus au patient de montrer qu’il a été victime d’un refus de soins - ce qui est souvent impossible dans la pratique - mais au soignant de prouver sa bonne foi.
de donner une valeur légale aux pratiques de testing, seul moyen de documenter l’ampleur et l’évolution du phénomène.
de confier l’observation des refus de soins à une instance indépendante incluant des représentants de l’assurance maladie et des malades, et pas uniquement des représentants des professions de santé.
Axe 2 - Prévention et réduction des risques : une petite révolution ?
Nouveaux outils de réduction des risques pour les usagers de drogues : une urgence.
La mise en place par les articles 8 et 9 de salles de consommation à moindre risque, la généralisation de l’accompagnement à l’injection et la réduction des risques liés à l’usage de drogues en prison sont inscrites dans le projet de loi. Soutenus et portés par AIDES, ces dispositifs constituent des leviers majeurs pour lutter contre le VIH et les hépatites au sein d’une population particulièrement exposée. Expérimenté depuis 2012 par l’association, l’accompagnement à l’injection a scientifiquement démontré son efficacité : il a permis une réduction spectaculaire des dommages et des risques de transmission pour les usagers qui en ont bénéficié [2]. Des propositions ont été faites pour aller plus loin, notamment sur la sécurisation des acteurs et des usagers, ou sur la mise en place effective de programmes d’échanges de seringues en prison. Nous serons particulièrement vigilants au maintien de ces avancées lors des débats parlementaires.
VIH et traitement préventif : en finir avec le "tout hôpital"
La délivrance du traitement préventif contre le VIH (ou traitement d’urgence) est aujourd’hui la prérogative des seuls hôpitaux. Résultat, il reste peu accessible, peu connu et donc sous-utilisé. Pour AIDES, la récente fusion des CDAG et des CIDDIST en dispositif unique de dépistage et de santé sexuelle doit pouvoir permettre une meilleure accessibilité de cet outil. A ce titre nous avons proposé un amendement à l’article 7 bis pour que ces nouveaux "centres", dénommés CeGIDD, puissent constituer un guichet unique proposant l’ensemble des outils de prévention. Et notamment délivrer le traitement en prévention. Ces centres seront mieux identifiés par les usagers, proposeront un accompagnement adapté et assureront l’inscription des personnes dans un parcours de soin si nécessaire. Ils sont donc naturellement taillés pour cette mission.
Axe 3 - Des usagers qui s’unissent pour faire entendre leur voix et participent à la fixation des prix des médicaments, c’est possible.
Des actions de groupe renforcées pour lutter contre les inégalités de santé
L’article 45 du projet de loi prévoit la mise en place d’actions de groupe dans le champ de la santé, calquées sur ce qui existe déjà en droit de la consommation. Ces actions de groupe visent à permettre à plusieurs personnes victimes d’un même préjudice dû à des produits de santé défectueux, d’obtenir réparation. Cette disposition est un premier pas, mais elle ne va pas assez loin. Nous considérons qu’au delà des dommages causés par des produits de santé défectueux, nombre d’entraves dans l’accès effectif aux soins sont liés à des manquements à des obligations légales ou contractuelles : refus de soins, absence de programmes d’échanges de seringues en prison, prix exorbitants de certains médicaments... Ces manquements excluent des populations entières du soin et de la prévention. A l’initiative de AIDES, plusieurs amendements à l’article 45 ont donc été proposés pour que ces actions de groupe deviennent un véritable outil de lutte contre les inégalités sociales de santé, et permettent de renforcer les capacités des citoyens à faire valoir leur droit à la santé.
Nous proposons notamment :
l’élargissement du périmètre de l’action de groupe aux dommages moraux et matériels (perte d’emploi, de chances thérapeutiques…)
de ne pas restreindre les possibilités de poursuite aux seuls producteurs, fournisseurs et prestataires de produits de santé, mais de les élargir aux organismes de protection sociale (en cas de refus ou d’entraves à l’ouverture des droits), aux autorités sanitaires et à tout organisme participant à la prise en charge médicale.
Des usagers enfin consultés dans la fixation des prix des médicaments ?
C’est la grande absente du projet de loi. Pas une ligne sur les enjeux de fixation des prix des médicaments, pourtant déterminants pour pérenniser notre système de soins et garantir l’accès de tous aux innovations thérapeutiques. Le récent débat sur le prix exorbitant du Sofosbuvir [3] aurait dû à lui seul pousser les autorités à réinterroger les processus de fixation des prix. Ces processus restent obscurs et les usagers en sont toujours exclus, alors que les médicaments représentent 15% des dépenses en santé. AIDES, en lien avec de nombreux partenaires associatifs, a donc proposé aux parlementaires une série d’amendements aux articles 21, 36 et 43, visant à renforcer le contrôle démocratique et assurer une meilleure transparence dans les méthodes de fixation des prix des médicaments. Nous demandons notamment l’inclusion de représentants d’usagers au Comité Economique des Produits de Santé (CEPS), instance chargée d’évaluer les prix et le taux de remboursement.
AIDES salue les députés et groupes parlementaires qui ont fait confiance à son expertise. A travers le dépôt de ces amendements [4], ils ont choisi de soutenir la parole des malades et des usagers du système de santé. L’ensemble de ces propositions vise à réduire les inégalités sociales de santé, à garantir l’accès à la santé pour toutes et tous, et à renforcer la prévention, la démocratie sanitaire et les outils de lutte contre les sida et les hépatites. Nous appelons l’ensemble des décideurs politiques à prendre en compte ces propositions et à voter ces amendements.
[1] Autorisation temporaire d’utilisation : accès précoce aux innovations thérapeutiques pour des patients en situation d’urgence
[2] Communiqué AIDES - 24 juillet 2014
[3] Médicament innovant contre l’hépatite C : 41.000 € pour trois mois de cure !