A partir du 7 octobre, à l’occasion de l’étude de ce projet de loi, l’Assemblée nationale va débattre d’un amendement voté par le Sénat, supprimant de très importantes limitations de la publicité en faveur des boissons alcooliques. S’il était voté, cet amendement, sous couvert d’un petit aménagement technique, glissé dans un texte qui n’a rien à voir avec la santé publique, et sans que la commission des affaires sociales soit consultée, aboutirait un démantèlement total de la loi Evin.
Pour la santé publique et donc pour l’ensemble de la collectivité, c’est une évidence soulignée et argumentée scientifiquement. Les choses doivent être dites : en élargissant les possibilités de la publicité pour les boissons alcooliques, cet amendement entraînerait de façon inéluctable un accroissement de la consommation pour des boissons qui contiennent de l’alcool (dont le vin quoiqu’on en pense et contrairement à ce que veulent faire oublier les viticulteurs). Or ces boissons ont une nocivité immédiate du fait de la modification de l’état de conscience provoquée par le produit (source d’accidents, de violences…) et une nocivité différée (cause de maladies, de mortalité prématurée…). Au total : 45 000 morts prématurés pas an, 90 % des cirrhoses du foie, le tiers des cancers, la deuxième cause de retard mental, la première cause de démence avant 60 ans, 20 % des hospitalisations en hôpital général et 40 % des hospitalisations en psychiatrie... Rappelons que le coût global (17,6 milliards d’euros) est supérieur au déficit actuel de la sécurité sociale qualifié d’abyssal. De manière générale, est-il éthiquement et socialement acceptable d’encourager la consommation d’un produit dont il est démontré qu’il génèrera des dommages pour cinq millions de personnes ? Peut - on, sur le site de la mission interministérielle de lutte contre le cancer afficher la volonté de diminuer la consommation d’une des principales causes de cancer, l’alcool, et se montrer permissif quant à l’incitation à sa consommation ?
Nous, les professionnels de la santé, comprenons tout à fait qu’un gouvernement puisse mettre dans ses priorités des intérêts économiques, mais nous souhaitons qu’un discours clair s’affiche. Il est inacceptable de dire tout et son contraire à nos concitoyens. Comment faire comprendre des messages clairs de santé publique concernant les risques liés à la consommation d’alcool si d’autres messages opposés viennent brouiller les pistes ? Nos concitoyens qui sont aussi au passage des consommateurs, sont en droit de réclamer des informations aussi proches de la réalité pour les produits qu’ils consomment.
Il n’est pas acceptable également de mettre en avant les bienfaits de la tradition qui associe la consommation de vin à tous les instants festifs de notre vie : depuis que sur la base d’arguments scientifiques, les Français ont modifié quelques habitudes fâcheuses de leur quotidien, ils ont amélioré leur espérance de vie. Les exemples abondent dans le domaine alimentaire. Ainsi depuis que l’on modère les consommations de crème fraîche dans les régions rurales, les risques cardiovasculaires ont diminué.
Si au moins ce mauvais coup porté à la santé publique qu’est la modification de la loi Evin pouvait apporter des bénéfices à nos producteurs locaux : mais hélas même pas ! Là encore les faits sont plus têtus que les idéologies et les analyses à court terme. Ce projet est l’exemple type de la fausse bonne solution. Le même amendement ouvrirait plus grandes encore les possibilités de publicités pour les boissons spiritueuses qui profiteraient des ouvertures de forme. Un règlement communautaire précise la liste des boissons spiritueuses - nombreuses, au premier rang desquelles les whiskies - qui pourraient se prévaloir des indications géographiques mentionnées par l’amendement. En autorisant des « références et représentations des facteurs naturels et humains ainsi que des caractéristiques sensorielles des produits », il accorde de grandes possibilités de représentations positives : fêtes, sport, jeunesse, féminité, virilité, etc Ainsi, cette remise en cause de la loi Evin serait dangereuse pour l’agriculture française qui ne ferait pas le poids - même réunie en interprofessions - face à la force publicitaire des grands producteurs français ou étrangers de spiritueux.
En tant que représentants de ceux qui aident et soignent les Français qui souffrent de leur consommation d’alcool, et après avoir rappelé notre opposition à toute prohibition, nous militons pour un équilibre entre les réalités économiques et les impératifs de santé publique. Et nous considérons que l’actuelle loi Evin assure cet équilibre.
La politique du bouc émissaire que constitue la remise en cause de la loi Evin ne peut qu’aboutir qu’à une victoire à la Pyrrhus. Toute tentative pour démanteler la loi Evin serait un aveuglement d’autant plus coupable que les consommateurs d’un côté au titre de la santé publique, les viticulteurs de l’autre, au titre de leurs intérêts économiques perdraient d’une manière ou d’une autre.
Au terme de ces débats, nous aurons tout essayé pour faire passer des messages scientifiques relatifs au risque de la consommation d’alcool pour certains de nos concitoyens (jeunes et femmes enceintes). Nous sommes allés voir nos ministres de tutelle ( premier ministre, ministre de la santé,) nous avons fait part de nos connaissances des risques à la presse, à la commission mise en place pour rédiger le Livre blanc sur la viticulture, aux malades, et aux professionnels de la viticulture. Nous les avons rencontrés, avons été auditionnés, avons expliqué, argumenté, démontré, preuves à l’appui. Nous avons tout dit. Chaque décideur connaît tous les risques de la surconsommation d’alcool.
Quels que soient les résultats du vote, nous aurons fait notre devoir de spécialiste et ne serons, en tous les cas, ni coupables ni responsables des décisions qui seront prises. Nous ne sommes pas, loin s’en faut, des décideurs. Chacun se débrouillera avec sa conscience, y compris celles et ceux qui nous ont expliqué, la main sur le cœur, qu’ils ou elles prendraient pas des décisions à l’encontre de la santé publique