Ressources Solidaires : Alors un site de covoiturage de plus ?
Covoiturage-libre : Covoiturage-libre.fr n’est pas un site de covoiturage de plus, c’est un des plus anciens et un des plus actifs, certes loin derrière le leader. Il est né dès décembre 2011, quelques jours après la généralisation du prélèvement de commission par covoiturage.fr devenu Blablacar. Notre site n’est pas né de la dernière pluie, il n’est pas une Nième application comme il s’en est lancé plusieurs depuis quelques mois : il est donc actif depuis plus de cinq ans et c’est le deuxième site en France en termes de nombre de trajets effectués (plus de 670 000 depuis la création) et de nombre de visiteurs sur le site (plus d’un million/an).
Surtout, ce n’est pas une startup à but lucratif. Dès le départ, le principe a été acté : un site collaboratif, ouvert, sans commission, animé par une association à but non lucratif de type loi 1901. Notre plateforme est un bien commun. La richesse créée par les membres, qui proposent des voyages ou qui effectuent des trajets grâce aux premiers, n’est pas captée au profit (peut-être) de services de "sécurisation" de la transaction mais plutôt d’investisseurs et de fonds financiers. Cette richesse commune appartient aux membres. Nous avons un modèle beaucoup plus proche de celui de Wikipedia, toutes proportions gardées, et nous avons beaucoup d’ambition.
Ressources Solidaires : Dans notre univers où le gratuit est devenu une marchandise (le big data, les données personnelles,...), vous affichez une plateforme libre, collaborative et associative. Argument marketing ? Et quel modèle économique sous-tend le projet ? Il fallait oser un projet associatif dans une société toute acquise à l’entrepreneuriat.
Covoiturage-libre : Contrairement à d’autres plate-formes qui affichent la gratuité, chez nous ce n’est pas un argument marketing mais un choix fondamental. Nous n’extrayons pas ni ne privatisons la richesse produite par les membres qui covoiturent. Nous n’avons pas un modèle caché non plus, via des accords avec des sociétés privées de location de voiture, d’auto-partage. Nous n’accueillons pas de publicité. Nous pensons qu’il y a, justement aujourd’hui où il y une tendance de fond à la privatisation des biens communs, à l’appropriation par quelques-uns de la valeur du travail de beaucoup d’autres, de plus en plus de nos concitoyens qui ne veulent pas du tout-marchand ni de l’enrichissement accéléré de quelques-uns. Dans le covoiturage, comme dans d’autres domaines, la recherche scientifique, la santé, l’éducation, la culture, l’environnement, beaucoup de nos concitoyens sont à la recherche de modèles alternatifs. Il ne faut pas oublier que parmi les milliers de start-up qui se créent en France, 20% se situent dans le cadre de l’économie sociale et solidaire. Il y a de multiples coopératives, associations, regroupements qui se créent partout. Il y a de la place pour des initiatives en dehors du lancement d’une start-up pour espérer toucher le pactole à l’arrivée.
Certains se résolvent à payer un service parce que cela apporte une certaine sécurité à la transaction, au remplissage de la voiture pour le conducteur, une assurance, etc. Nous pensons que c’est surtout parce que cette plateforme a réussi à convertir une position dominante acquise du temps de la gratuité (avant 2011), en hégémonie qui fait que l’immense majorité des annonces sont proposées sur leur site. Cette entreprise a aujourd’hui les moyens financiers de renforcer cette hégémonie par de la publicité et le rachat des concurrents.
A nous de développer une plateforme qui concilie l’intérêt général, le bien commun, avec une interface confortable, qui assure un minimum de sécurité dans la transaction pour les passagers comme pour les conducteurs.
Ressources Solidaires : Un de vos concurrents est coté en bourse, a levé une énorme somme et a acheté de magnifiques bureaux en plein Paris. Peut-on penser "économie collaborative", respect de la vie privée et partenariats "non sulfureux" ?
Covoiturage-libre : Blablacar est le résultat d’un hold-up sur le bien commun constitué par la plateforme covoiturage.fr jusqu’en 2011 de manière gratuite. Progressivement, pas à pas, tous les trajets ont été soumis à une commission, celle-ci d’un niveau de plus en plus élevé, jusqu’à atteindre 20% sur certains trajets. On a assisté à la privatisation de la valeur produite de manière volontaire par une communauté fondée sur le partage et la solidarité. Ce n’est pas le seul exemple dans le monde des plate-formes numériques. Mais ce n’est pas non plus une fatalité. La plateforme met en relation – ce qui a un coût. Mais la valeur n’est pas produite par la plateforme, mais par les covoitureurs et les covoiturés. Comme pour airbnb et booking, il s’opère un prélèvement important (jusqu’à 20%) qui vient renchérir le coût supporté par les usagers, alors que la plateforme n’investit pas et n’offre pas des services à hauteur du prélèvement. Aujourd’hui, les levées de fonds et les revenus de la plateforme servent une stratégie internationale d’hégémonie sur chaque marché, grâce aux moyens qui permettent de racheter les concurrents ou de les réduire à la portion congrue. Une fois la position dominante acquise, le montant de la commission peut augmenter. La valorisation de la plateforme est liée justement à cette hégémonie.
S’il s’agit d’économie "collaborative", c’est seulement dans le sens où des acteurs parviennent à se constituer une position dominante très lucrative grâce au travail invisible de centaines de milliers ou de millions de conducteurs qui proposent des trajets. Il s’agit surtout d’une structure capitaliste exacerbée, qui permet à certains capitaines ambitieux de faire fortune sur le dos de tout le monde. Ce n’est pas le modèle que nous défendons. Il existe d’autres modèles, porteurs d’autres valeurs, comme Wikipedia, mais aussi comme Linux, OpenStreetMap, Drupal ou Wordpress, et des milliers d’autres. Ils sont fondés sur le travail partagé de communautés, et bénéficient à tout le monde.
La captation de valeur se fait via les commissions prélevées sur les transactions, mais également sur la valorisation des données de plus en plus précises et larges collectées. C’est une question importante à laquelle nous sommes très attentifs.
Ressources Solidaires : Changement de présidence cette année. Nouveaux projets à venir ?
Covoiturage-libre : Nous avons déjà fait beaucoup depuis trois mois ! Une nouvelle équipe élargie, des compétences diverses mises au service d’un projet commun, une assemblée générale extraordinaire le 21 avril pour modifier les statuts et ouvrir la gouvernance de l’association, une première refonte du site Internet pour en moderniser le graphisme et surtout le rendre adapté à la consultation sur téléphone et tablette, la conception graphique d’une série de stickers, la mise en place de la campagne permanente de dons…
Nous ne manquons pas de projets pour les semaines et mois à venir, et nous aurons besoin de toutes les bonnes volontés pour les mener à bien : reprendre complètement le développement de la plateforme afin de pouvoir proposer de nouveaux services, en particulier la création de comptes, développer des applications pour iphone et android, améliorer les fonctionnalités géographiques de la plateforme… mais aussi mettre en place un stratégie de communication en direction de tous les publics potentiels, développer l’investissement de la communauté par une campagne de dons, et par des opérations plus spécifiques de crowdfunding pour permettre de faire les développements informatiques les plus importants, nouer des partenariats avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire, avec les collectivités locales, organiser des apéros covoiturage en région…
Notre objectif est ambitieux : bâtir la première plateforme d’économie collaborative en France, d’économie réellement collaborative, avec toutes celles et tous ceux qui le voudront et pour le bénéfice de tous.
Une seul adresse : http://covoiturage-libre.fr/
Merci pour cet article et à covoiturage-libre pour cette réalisation enthousiasmante !
Pouvez-vous donner quelques infos sur la politique sociale dans l’association, échelle des salaires, etc. ?