Monsieur le président de la République,
Plus de 60 organisations membres de la FIDH, dont, bien sûr, la Ligue française des droits de l’Homme, sont particulièrement préoccupées par la situation des libertés publiques et individuelles en France. Tous nos membres ont été horrifiés par les attentats commis durant l’année 2015 à Paris et Saint Denis. Ces actes de terrorisme sont commis partout dans le monde et il est de la responsabilité des Etats d’y répondre de manière à préserver la sécurité de tous ainsi que les libertés. La FIDH et ses organisations membres, s’appuyant sur leur expérience bientôt centenaire, affirment que cette lutte doit impérativement se mener dans le respect des droits de l’Homme sous peine de porter atteinte aux principes mêmes de la démocratie, satisfaisant ainsi aux objectifs des criminels. A quoi s’ajoute le fait que, à ne pas respecter les libertés fondamentales, on nourrit stigmatisations et discriminations, au risque de mettre en péril la cohésion d’un pays.
Nos organisations, mais aussi les gouvernements du monde entier et les instances internationales, sont attentifs à la réaction des autorités françaises. Toute mesure attentatoire aux droits des individus et aux libertés publiques serait un reniement des engagements internationaux de la France et indigne du pays de la Déclaration des droits de l’Homme. Elle ne manquerait pas d’être prise comme exemple par les régimes les plus autoritaires pour légitimer leur politique de répression des opposants politiques, journalistes ou ONG comme les nôtres, menée au prétexte fallacieux de la lutte contre le terrorisme.
C’est pourquoi nos organisations s’inquiètent particulièrement de la prorogation de l’état d’urgence , et plus encore de son renouvellement annoncé à partir du 26 février. Si de nombreux gardes fous républicains permettent d’examiner les conditions de sa mise en œuvre, plusieurs informations et témoignages font état d’un recours à la force inutile et d’erreurs dans le cadre des plus de 3000 perquisitions exécutées sans l’autorisation du juge judiciaire. Près de 400 assignations à résidence ont par ailleurs été décidées par les préfets sur la base de simples notes blanches, certaines dépassant le strict cadre de la lutte contre le terrorisme pour concerner par exemple des militants écologistes. Ces actes ont été validés dans leur quasi-totalité par la justice administrative dont le contrôle, exercé a posteriori, s’est révélé largement insuffisant voire inopérant lorsqu’il s’agit de perquisitions. Nous relevons au surplus que, de l’avis même du mécanisme parlementaire de surveillance de l’état d’urgence, les modalités d’action instaurées par celui-ci ne sont presque plus utilisés par les services concernés. Nous en concluons que les moyens du droit commun permettent de faire face à la situation actuelle.
Le projet de réforme de la Constitution sur l’état d’urgence et la déchéance de nationalité, ainsi que le projet de réforme de la procédure pénale qui viennent s’ajouter à la loi sur la surveillance électronique et à trente années de législation abondante sur la lutte contre le terrorisme, inquiètent également quant aux risques accrus de violations des libertés et droits fondamentaux des citoyens qu’elles comportent. La France sera un des seuls pays dont la Constitution inclut trois dispositifs d’exception.
Nonobstant le soutien dont les sondages d’opinion semblent créditer ces réformes, nous craignons vivement, pour notre part, qu’elles ne renforcent au sein de la population, et singulièrement parmi les plus vulnérables, un sentiment d’arbitraire, qu’elles ne favorisent des actes de stigmatisation et de discrimination et ne fissurent davantage la cohésion sociale.
Il serait pour le moins paradoxal que, sous couvert de favoriser l’union nationale, les réformes engagées encouragent au contraire la désunion et, in fine, ne bénéficient principalement qu’aux forces politiques les plus extrêmes de la société française. C’est pourtant la profonde préoccupation que ces réformes nous inspirent, à l’aune de l’expérience douloureuse que nous avons suivie dans nombre de pays depuis le 11 septembre 2001.
Aussi, nos organisations appellent au non renouvellement de l’état d’urgence, au retrait des réformes constitutionnelles proposées, et à l’encadrement par un strict respect des droits humains, de toute réforme entreprise et de la politique étrangère de la France relatives à la lutte contre le terrorisme.
Nous appelons aussi les autorités françaises à renouer le dialogue avec l’ensemble de la société civile et à s’appuyer sur son expertise.
Enfin, nous vous recommandons d’inviter officiellement en France aux fins d’enquête, les principaux organes du Conseil de l’Europe et des Nations unies compétents, pour évaluer les mesures en vigueur ou proposées et les pratiques en cours, à l’aune des obligations internationales conventionnelles souscrites par la République française. Parmi eux, le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe et le Rapporteur spécial de l’ONU sur la lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l’Homme nous semblent devoir être invités prioritairement.
La France entend agir dans le cadre des systèmes onusiens et européens de protection des droits, qu’elle soutient par ailleurs et qu’elle s’est engagée à respecter et promouvoir. Une telle invitation nous semblerait cohérente, nécessaire et opportune.
Pour notre part nous organiserons à bref délai une mission d’enquête internationale, espérant de la part des autorités française une collaboration active.
Restant à votre disposition, nous vous prions de croire, Monsieur le président de la République, à l’assurance de notre haute considération.
Signataires :
En Afrique
Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO) – Côte d’Ivoire
Organisation nationale des droits de l’Homme (ONDH) – Sénégal
Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH) – Côte d’Ivoire
Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (RADDHO) – Sénégal
NSANZURWIMO – Rwanda
Maison des droits de l’Homme du Cameroun (MDHC) – Cameroun
DITSHWANELO – Bostwana
ZimRights – Zimbabwe
Groupe LOTUS – RDC
Kenya Human Rights Commission – Kenya
Ligue tchadienne des droits de l’Homme – Tchad
Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (ATPDH) – Tchad
Ligue djiboutienne des droits de l’Homme – Djibouti
En Amériques
Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) – Haïti
Ligue des droits et libertés du Québec – Canada
Liga argentina por los derechos mumanos (LADH) – Argentine
CCR – USA
CNDH – République Dominicaine
Limedddh – Mexique
Centro de Capacitación Social de Panamá – Panama
Comisión de Derechos Humanos de El Salvador (CDHES) – El Salvador
CELS – Argentine
Coordinadora Nacional de Derechos Humanos (CNDDHH) – Perou
En Asie
Mouvement Lao pour les droits de l’Homme (MLDH) – Laos
Comité Viet Nam Pour la défense des droits de l’Homme – Vietnam
Save Tibet – Tibet
Human Rights Commission of Pakistan – Pakistan
Commonwealth Human Rights Initiative – Inde
Odhikar – Bangladesh
ALTSEAN – Birmanie
ADHOC – Cambodge
Armanshahr/OPEN ASIA – Afghanistan
Philippine Alliance of Human Rights Advocates – Philippines
En Europe
Ligue des droits de l’Homme – France
Ligue des droits de l’Homme – Belgique
Malta Association of Human Rights – Malte
Hellenic League for Human Rights – Grèce
LIDU- Lega Italiana dei Diritti dell’Uomo – Italy
Ihmisoikeusliitto – Finnish League for Human Rights – Finlande
Latvian Human Rights Committee – Littonie
Human Rights Association (IHD) – Turkey
Committee on the Administration of Justice (CAJ) – UK
League for Human Rights Netherlands – Netherlands
Liga für Menschenrechte – Allemagne
En Europe de l’Est et Asie Centrale
Kazakhstan International Bureau for Human Rights and Rule of Law – Kazakhstan
Human Rights Movement « Bir Duino-Kyrgyzstan » – Kirghizistan
Human Rights Center (HRIDC) – Géorgie
Civil Society Institute – Arménie
Promo-LEX Association – Moldavie
Anti-Discrimination Centre « Memorial » – Russie
Bureau for Human Rights and Rule of Law – Tadjikistan
Human Rights Organisation « Citizen’s Watch » – Russie
Public foundation « Legal clinic « Adilet » – Kirghizistan
International human rights organisation « Fiery hearts club » – Ouzbékistan
Human Rights Centre « Viasna » – Bélarus
Au Maghreb et au Moyen-Orient
Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) – Tunisie
Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) – Tunisie
DOUSTOURNA – Tunisie
Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) – Tunisie
Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS) – Égypte
Association marocaine des droits humains (AMDH) – Maroc
Organisation marocaine des droits humains (OMDH) – Maroc