Contre la conception libérale du sujet moderne, libre et souverain, Corine Pelluchon pense un sujet interdépendant, vulnérable et responsable, fondant la politique sur une ontologie éthique. Mais ce faisant, ne passe-t-elle pas outre l’organisation concrète du monde social, dont la critique permet de penser le lien entre éthique et politique ?
Le dernier ouvrage de Corine Pelluchon, intitulé Éléments pour une éthique de la vulnérabilité, reprend et prolonge les interrogations menées dans son précédent livre, L’autonomie brisée [1]. L’auteure y part du constat d’une incapacité du contractualisme libéral à offrir une réponse satisfaisante à des problèmes moraux et politiques devenus centraux dans les sociétés libérales et démocratiques contemporaines – le problème écologique, le problème du traitement des animaux et le problème de l’organisation du travail et de la solidarité – et vise à retravailler le libéralisme politique afin de lui permettre de répondre aux défis du temps présent. En raison de son constat de départ, des thèmes abordés mais aussi de son ambition théorique, l’ouvrage de Corine Pelluchon fait indiscutablement penser au livre de Martha Nussbaum paru en 2006, Frontiers of Justice [2], dans lequel la philosophe américaine entreprenait de critiquer et d’approfondir le libéralisme politique rawlsien en le confrontant aux trois questions que celui-ci selon Nussbaum ne parvenait ni à formuler ni à résoudre : la question de l’inclusion des personnes handicapées, celle de la justice envers les animaux et celle de la justice internationale.