Le revenu universel, de base, inconditionnel… : une fausse bonne idée ?

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Le revenu universel, de base, inconditionnel… : une fausse bonne idée ?

L’idée d’un revenu universel ou revenu de base, inconditionnel [1]… s’est invitée dans la campagne des présidentielles. Il s’agirait d’une allocation sociale de base versée à tous les citoyens (riches et pauvres) sur une base individuelle, sans condition de ressources ni obligation de travail, versée tout au long de la vie. Plusieurs organisations ont d’ores et déjà émis des réserves par rapport aux propositions formulées par les candidats de différents bords. Avec de nombreux adhérents, le CAC s’associe à cette réflexion essentielle pour l’avenir de la Solidarité.

La question du revenu universel est un vieux débat. Les prémisses remontent au moins à Thomas More au début du 16ème siècle. Pendant la Révolution française, Thomas Paine et Thomas Spencer défendirent l’idée d’une Allocation universelle devant la Convention. Dans les années 1970, Milton Friedman, l’un des fondateurs de l’Ecole ultralibérale de Chicago, s’est intéressé au revenu universel, remanié et adapté à un contexte ultralibéral. Dans la même période André Gorz estimait que le revenu universel aurait un avenir s’il était « d’un montant suffisant ». Depuis, des sociologues, politistes, économistes, philosophes,… ont produit une abondante littérature sur le revenu universel, dans ses différentes approches et dénominations.

La quasi-totalité de cette littérature aborde l’instauration d’un revenu universel dans le cadre d’un système productiviste aux ressources sans limites, sans discuter de la démographie, alors que la crise aujourd’hui est systémique, sociale, économique, écologique, politique, culturelle, et qu’aucun de ces aspects ne peut être abordé sans aborder tous les autres. A un problème systémique nous ne pouvons apporter que des solutions systémiques. Le jeu des acteurs est également absent de cette production. Les salariés et leurs organisations syndicales comme acteurs sociaux, ainsi que le patronat et ses organisations, sont absents de cette réflexion, alors que paradoxalement l’argumentation de sa mise en place repose en grande partie sur la théorie -pourtant démentie par l’histoire- de la « fin du travail » ou la diminution des emplois liée à l’automatisation ou au développement de l’intelligence artificielle. Il est d’ailleurs à noter que cette idée resurgie en période de crise et de refus d’aborder la question de la production, de la répartition et de la gestion des richesses créées par l’activité humaine.

Alors que le minimum vieillesse est de 800 euros par mois, la plupart des propositions des politiques se situent à un niveau proche de celui du RSA actuel (470 euros par mois), ce qui n’apporte aucune garantie d’amélioration de l’avenir pour les personnes en situation de précarité, mais comporte des risques très importants. Dans l’immédiat, comme le souligne le Secours Catholique, les plus démunis seront au contraire en butte à des difficultés accrues pour trouver un emploi rémunéré, si les règles du jeu économique, les discriminations, les systèmes de formation initiale et professionnelle continue ne changent pas. Les titulaires du revenu de base pourront tout juste prétendre à des emplois instables, d’autant plus mal payés que les salaires apparaîtront alors comme un complément. Il est à craindre que compte tenu des rapports de force entre le capital et le travail aujourd’hui, le patronat trouve dans l’attribution de ce revenu universel une bonne occasion de diminuer sans fin les salaires. Ce pourrait être, poussé à l’absurde, un super CICE. Si le patronat est très discret sur le revenu universel, il n’hésite pas à demander un CICE élargi. Dans une interview au Monde du 15 février, Jean-Dominique Senard, patron de Michelin indique « Le CICE a été un élément de rattrapage mais ce n’est pas suffisant. Il faut aller beaucoup plus loin pour réduire les coûts qui pèsent sur les facteurs de production. »

L’observatoire des inégalités souligne qu’un revenu de base de 100 euros mensuel, pendant 12 mois, accordé à 65 millions d’individus coûterait 80 milliards. Un revenu de base de 1 000 euros (minimum vital d’aujourd’hui) coûte 800 milliards par an. Pour le financer, il faudrait multiplier par 8 l’impôt sur le revenu ou la CSG (94 Mds €), ce qui revient à reprendre à la majeure partie des bénéficiaires plus que ce que le revenu universel leur apporte.

Ces projets risquent de conduire au contraire à un accroissement des inégalités :
- inégalités entre catégories sociales, en l’absence d’une réforme fiscale d’envergure, puisque la même allocation serait également versée à ceux qui disposent d’un revenu confortable,
- inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes,
- inégalités entre les moins qualifiés et les plus qualifiés. La rémunération du travail tend à devenir un complément du revenu de base, car les plus vulnérables sont incités à accepter n’importe quel emploi, notamment des petits boulots et des travaux temporaires avec des niveaux de rémunération moindres.

L’instauration d’un revenu de base impliquerait par sa philosophie et pour son financement la suppression de certaines prestations sociales : allocations familiales, minima sociaux, allocation de handicap, minimum vieillesse, allocations-chômage et même, pour les plus extrémistes des libéraux, l’assurance-maladie... Le revenu de base deviendrait ainsi un solde de tout compte qui remplace de multiples allocations et droits et livre les populations aux compagnies d’assurance pour leur protection sociale, nous rapprochant du système en vigueur aux États-Unis.

Ces suppressions constituent la motivation principale d’un certain nombre de promoteurs du revenu universel. Elles entraîneraient une baisse très importante de la protection sociale. En revanche, selon certaines propositions, les impôts payés par les plus riches (45% d’imposition) se trouveraient allégés de façon parfois très importante.

Nous invitons au débat sur huit propositions, envisageables sans délais pour peu qu’il y ait volonté politique :
Les associations citoyennes regroupées dans le CAC sont portées par la vision d’une société solidaire où chacun doit pouvoir contribuer à l’intérêt général et au bien commun, a le droit d’accéder à un revenu lui permettant de vivre de façon digne, active et responsable, d’élever ses enfants, de bénéficier d’une protection sociale (chômage, maladie, retraite…). De très nombreuses associations sur le terrain contribuent d’une manière ou d’une autre à faire vivre cette société, dès à présent, à travers de multiples réalisations, qui sont porteuses non seulement de services et d’activités, mais aussi de valeurs, de lien social et d’éducation citoyenne. Le Collectif des associations citoyennes est d’accord avec l’ouverture d’un débat sur l’avenir du travail et la nécessité d’un revenu décent pour tous. Mais ce débat ne saurait se limiter à un débat technique sur le revenu universel. Cela les conduit à formuler 8 propositions [2] pour aller dans ce sens :
- L’accès de tous à un travail décent et digne, correctement payé est une question centrale. Cela implique à terme une transformation radicale de la société, de ses mécanismes de régulation et de nos raisons d’agir [3]. Cela correspond également à une idée de lutte contre les inégalités. On peut partager la vision d’une société d’abondance dans laquelle la pauvreté aurait disparu et où le revenu de base viendrait remplacer la rémunération du travail. Mais cette perspective est très lointaine. Dans l’immédiat, le recul de la précarité et de la pauvreté nécessite l’abrogation de la loi travail et des dispositions multiples qui ont fait reculer le droit du travail, pour aller vers des droits universels étendus sur le plan du travail, de l’emploi, de la protection sociale et de l’égalité entre les femmes et les hommes.
- La revalorisation des salaires et la suppression des inégalités salariales envers les femmes dont le salaire est encore 27% inférieur en moyenne à celui de leurs collègues masculins à qualification égale, et la diminution du temps de travail pour dégager du temps pour participer à la vie de la cité.
- La revalorisation des minima sociaux, notamment le RSA et l’ASS, versés sans démarches vexatoires à ceux qui en ont besoin, avec des accompagnements sociaux pour réduire fortement le pourcentage de ceux qui renoncent à bénéficier des aides auxquelles ils ont droit (45 % des allocataires potentiels du RSA). Le SMIC, qui est trop proche de ces minima sociaux, doit être également revalorisé.
- Le remboursement à 100 % par la Sécurité Sociale des frais maladie reste un objectif, ce qui implique un débat avec les mutuelles sur leur rôle dans ce cadre. L’obligation de devoir passer par des assurances complémentaires segmente la population par des coûts supplémentaires, et empêche nombre de personnes d’y accéder ou de bénéficier du même taux de remboursement. Cette disposition implique notamment de revoir toutes les mesures qui rognent et détruisent petit à petit la protection sociale, et de s’engager vers l’universalité de la protection sociale.
- L’urgence à engager une transition écologique et sociale qui, selon l’économiste Jean Gadrey, permettrait de créer chaque année des centaines de milliers d’emplois ayant du sens, en quittant le productivisme et en prenant soin des humains, de la nature et du lien social, à l’opposé du rêve de certains d’une robotisation généralisée.
- Une réforme en profondeur de la fiscalité est centrale pour inverser la tendance actuelle à l’accroissement des inégalités, en incluant dans celle-ci à la fois la taxation de toutes les formes de revenus du travail du capital et la lutte contre l’évasion fiscale, qui représente 80 milliards par an.
- Cela n’exclut pas la perspective d’un revenu qui serait conçu comme le droit pour chacun de bénéficier des fruits de la terre et du travail commun, dans une perspective de mutualisation. Ce droit serait en particulier inaliénable pour ceux qui ne disposent pas de revenus suffisants, qui ne peuvent pas ou ne peuvent plus travailler, qui remplissent des tâches nécessaires à la société mais non rémunérées. Cette perspective est déjà celle de la République depuis 200 ans. Elle a guidé le principe de l’impôt progressif, des retraites par répartition, des allocations familiales, de l’allocation handicap, etc.
- Les associations jouent un rôle essentiel dans le domaine social sur le plan des services aux personnes, de la gestion d’établissements, du travail social, du lien social, de la défense des droits, de l’éducation populaire. Leur financement, la préservation de leur indépendance vis à vis du marché et des puissances financière sont essentielles. Il faut revoir les politiques de diminutions des subventions et des aides. Celles-ci ne représentent pas des coûts mais des investissements sociaux sur le moyen et long terme.

Bien qu’il soit mal engagé, le débat actuel sur le revenu universel peut servir à une relance du débat fondamental sur les conditions de la solidarité en France et dans le monde et sur la place du travail dans une société libérée.

On trouvera en lien ICI un dossier et des éléments utiles pour soutenir cette réflexion.

[1Les appellations sont nombreuses : revenu d’existence, revenu de base, revenu universel, inconditionnel….

[2Voir Jean Gadrey

[3Lire Les Chemins de la transition, CAC, mars 2016

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