3 questions à Frédéric Tiberghien, Président de Finansol sur la loi ESS et le développement des finances solidaires

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3 questions à Frédéric Tiberghien, Président de Finansol sur la loi ESS et le développement des finances solidaires

Ressources Solidaires : Le projet de loi sur l’ESS passe en ce moment à l’Assemblée nationale après le Sénat. Pour Finansol et, au-delà, l’épargne et la finance solidaire, que pouvez-vous en attendre ?

Frédéric Tiberghien : Le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS) aura un effet contrasté. C’est un bon projet pour les quatre grandes familles traditionnelles de l’ESS (mutuelles, coopératives, associations et fondations) et il sera d’autant meilleur que le financement suivra. Dans ce dernier domaine, les attentes des acteurs sont sans doute supérieures aux possibilités actuelles des collectivités publiques. Mais la finance solidaire y est franchement maltraitée.
Pourtant la finance solidaire, qui est l’une des principales sources de financement privé de l’ESS, a largement fait la preuve de son efficacité. En 10 ans, elle a permis la création de 200 000 emplois, le relogement de près de 40 000 personnes en grande précarité, la transformation de milliers d’hectares de terre agricole cultivées en biologique, etc. En cette période de recherche d’économies budgétaires par toutes les personnes publiques, le projet de loi ESS aurait eu grand intérêt à développer la finance solidaire.
A contrario, la future loi en déstabilise les fondements en s’attaquant à la rénovation de l’agrément d’entreprise solidaire -devenu "agrément d’entreprise solidaire d’utilité sociale". Ce sésame permet actuellement, en effet, aux entreprises exerçant une activité "solidaire" d’être financées par l’épargne solidaire.
Demain, si la loi est votée conforme par le Sénat, l’agrément d’entreprise solidaire va devenir une véritable usine à gaz. De 3 critères actuels à respecter, on passe à 10 conditions statutaires définies dans 3 articles et 4 décrets et à 2 procédures administratives. Certaines de ces conditions sont d’ailleurs inintelligibles ou impossibles à mettre en œuvre de manière cohérente sur l’ensemble du territoire, telles que celle-ci : "La charge induite par son objectif d’utilité sociale a un impact significatif sur le compte de résultat ou la rentabilité financière de l’entreprise ". Seul le Gosplan a essayé de normaliser a priori la rentabilité attendue des entreprises et chacun sait avec quel degré de succès.
Si l’on voulait tarir le vivier des entreprises solidaires, on ne s’y prendrait pas autrement. C’est d’autant plus grave qu’une entreprise sur 4 qui se crée aujourd’hui en Europe est une entreprise sociale ; et d’autant plus absurde que l’étude d’impact jointe au projet de loi, a démontré que l’agrément actuel n’avait fait l’objet d’aucun abus !
Le refus de prendre en compte les préoccupations et les suggestions exprimées par les membres de Finansol au sujet de l’agrément solidaire est d’autant plus incompréhensible que le Gouvernement annonce par ailleurs un choc de simplification pour les entreprises et que le député T. Mandon a été chargé de faire des propositions en ce sens. Il faut donc impérativement continuer à travailler sur la simplification de cet agrément et sur le renforcement de sa prévisibilité : à défaut c’est le vivier des entreprises solidaires qui pourrait se tarir et la lutte contre toutes les exclusions sociales en pâtir.

Ressources Solidaires : En tant qu’acteur central de la finance solidaire, l’ouverture du périmètre est une bonne perspective de développement et de débouchés pour des projets conformes à vos attentes. Que pensez-vous de cette ouverture à des entreprises commerciales d’utilité sociale qui ne faisaient donc pas partie (totalement) du périmètre auparavant ? Comment comptez-vous les accompagner dans leur développement ?

Frédéric Tiberghien : L’ouverture de l’ESS aux « entrepreneurs sociaux » me semble une bonne chose car elle vient à point nommé et prend en compte l’évolution récente du monde de l’entreprise. Les frontières entre secteur privé, secteur étatique et tiers secteur me semblent en effet moins nettes et moins rigides qu’autrefois. Elles comportent désormais des zones grises. Il existe ainsi des entreprises sociales issues du secteur privé qui, bien que dotées d’un statut commercial, privilégient la recherche de l’utilité sociale à celle du profit. Les principaux critères d’admission dans le champ de l’ESS sont : la recherche d’une utilité sociale ; une distribution limitée des profits et leur réinvestissement majoritaire dans le projet d’entreprise et une gouvernance démocratique.
Une fois agréée par l’Etat, les entreprises commerciales immatriculées Entreprise de l’ESS pourront demander leur agrément d’entreprise solidaire (en répondant à des conditions supplémentaires) et ainsi, faire bénéficier de financements solidaires ou faire labelliser un produit par Finansol, par exemple la souscription à leur capital. Finansol examinera naturellement ces demandes.

Ressources Solidaires : En suivant les baromètres annuels, on s’aperçoit que loin d’en souffrir, l’épargne solidaire se développe à une vitesse confortable. Comment améliorer encore sa progression ? Comment voyez-vous le paysage à 5 ans ?
La finance solidaire se développe rapidement depuis une dizaine d’années, au rythme de 25 % environ, pour deux raisons.

Frédéric Tiberghien : En premier lieu, depuis la Loi de Modernisation de l’Economie du 4 août 2008, nous avons une législation intelligente sur l’épargne salariale. L’encours de l’épargne salariale solidaire a en effet été boosté par cette loi qui, depuis le 1er janvier 2010, impose de proposer au moins un fonds solidaire dans tous les dispositifs PEE et PERCO. L’épargne salariale solidaire est de ce fait devenue le plus puissant vecteur de développement de l’épargne solidaire, apportant de nouveaux moyens d’investissement dans les entreprises solidaires.
En second lieu, la crise financière de 2008 qui a profondément déstabilisé les systèmes bancaires, les économies et les finances publiques et provoqué en Europe les politiques d’austérité dont nous n’allons pas sortir de sitôt a suscité une prise de conscience chez de nombreux épargnants. Ils souhaitent que leur épargne soit mise au service de l’économie réelle et utilisée dans un objectif d’utilité sociale et cesse de l’être au service de l’économie casino ou d’une spéculation hors sol.

On peut encore renforcer la dynamique de la collecte avec toute une série de mesures, dont deux nous semblent aujourd’hui essentielles.

L’assurance-vie, tout d’abord. Il convient d’étendre au produit d’épargne préféré des Français la formule à succès de l’épargne salariale : proposer une option solidaire dans tous les contrats. Le montant de cette épargne atteint environ 1500 Mds d’euros. Le même raisonnement doit être, par ailleurs, appliqué aux livrets d’épargne réglementée. Il est en effet anormal que les épargnants n’aient pas non plus la possibilité d’opter pour un compartiment solidaire lorsqu’ils souscrivent à ces produits bancaires. Le montant de cette épargne atteint environ 600 Mds d’euros.

Ces deux pistes illustrent l’énorme potentiel de développement de la finance solidaire. Notre ambition est que les Français y consacrent aussi vite que possible 1% de leur épargne financière contre 0,15% aujourd’hui. Nous n’y arriverons pas en 5 ans ; on pourrait y arriver en une dizaine d’années si les deux pistes ci-dessus sont rapidement mises en œuvre.

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