Note d’éclairage de la Fonda : Contribution à l’élaboration du projet de loi sur l’économie sociale et solidaire

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Note d'éclairage de la Fonda : Contribution à l'élaboration du projet de loi sur l'économie sociale et solidaire

L’élaboration d’une « loi-cadre » sur l’économie sociale et solidaire est une revendication
déjà ancienne. Comme la notion de « loi-cadre » n’existe pas dans notre droit public, il faut
en fait retourner la formule et comprendre qu’il s’agit d’une demande de cadre législatif.
L’objet du projet de loi en cours d’élaboration par le Gouvernement est à la fois d’élargir et
de préciser les contours de ce cadre. Le ministre chargé de l’ESS, Benoît Hamon, a largement
ouvert les portes de la concertation et mis en circulation, via le CSESS (conseil supérieur de
l’économie sociale et solidaire) les versions successives de l’avant-projet [1]. Les discussions en
cours illustrent la difficulté de l’exercice : nous aspirons tous à une reconnaissance globale
de l’ESS, des grandes mutuelles aux associations locales, mais si ce vaste univers se réclame
de valeurs communes, il doit aussi sa vitalité à sa diversité.

La diminution des financements publics est une tendance lourde qui a pour les associations
de multiples conséquences : elles doivent repenser leur organisation et développer de
nouvelles stratégies de mutualisation. Elles doivent aussi imaginer de nouveaux modèles
économiques dans lesquels la création et le développement d’activités d’économie sociale et
solidaire peut tenir une place importante. Cela explique que nous soyons particulièrement
attentifs à la clarté et à la simplicité du cadre législatif de l’ESS. Il ne doit en aucun cas
générer de coûts supplémentaires, soit par des phénomènes de barrière à l’entrée soit par
un excès de normativité. Il doit préserver au maximum l’existence d’espace de créativité, de
montage et de combinaison, c’est-à-dire d’innovation sociale. Tel est le sens que nous
donnons à cette contribution.

L’état d’avancement et les problèmes soulevés par les différentes parties du texte sont
inégaux. Les titres II (transmission d’entreprise aux salariés), III (droit des coopératives) et IV
(droit de la mutualité) comportent des dispositions précises modifiant des codes existants ; les
titres V (droit des associations) et VI (droit des fondations) modifient ponctuellement le droit
des associations et des fondations. C’est donc dans le titre Ier (dispositions communes) que se
concentre l’exercice de cadrage législatif auquel est consacrée cette note.

Les risques de la définition

L’article 1er délimite le périmètre de l’ESS au moyen de deux critères complémentaires : celui du
statut juridique (coopératives, mutuelles, fondations, associations) et celui de la finalité
économique, « un but poursuivi autre que le partage de bénéfices, un objectif orienté
principalement vers la recherche d’une utilité sociale », ce qui se traduit par trois règles
d’affectation des excédents : ils sont majoritairement réinvestis dans le développement de
l’entreprise ; les réserves sont impartageables ; lorsqu’il peut être distribué, le résultat l’est dans la limite d’un taux maximal. Ces
critères sont complémentaires sans être
cumulatifs, ce qui implique qu’une
entreprise sous statut de société
commerciale peut être qualifiée de sociale
et solidaire si elle répond au critère de la
finalité sociale et économique. Cet
élément de la définition nous paraît
essentiel parce qu’il fait de l’ESS un
domaine ouvert sur l’ensemble de
l’économie et non un secteur « réservé ».

Plusieurs autres dispositions du projets
relèvent de la même vision : celles du
titre II relatives au rachat d’une entreprise
par les salariés, celles des articles 41 et 42
qui créent les « SCOP d’amorçage » dont
une partie peut être détenue par des non-
coopérateurs (notamment des fonds
d’investissement), celles des articles 45 et
47 qui permettent aux SCOP et aux SCIC
d’adopter la forme juridique d’une SAS
(société par actions simplifiée – qui est
aujourd’hui la forme juridique basique de
l’entreprise).

Cette cohérence est en revanche mise à
mal dès l’article 2 par la définition de
l’entreprise « recherchant une utilité
sociale » dont l’objet doit correspondre à
l’une des deux conditions suivantes :
« apporter, à travers leur activité, des
bénéfices ou un soutien en direction de
personnes dont l’insertion sociale est
fragilisée soit du fait de leur situation
économique et sociale, soit du fait de leur
handicap » ; « contribuer à travers leur
activité, au lien social au niveau d’un
territoire ou à la cohésion territoriale ».

La première condition restreint de fait le
champ des entreprises de l’ESS à
l’insertion par l’économique et aux
épiceries solidaires. Elle en écarte par
conséquent tout le champ de l’économie
des biens communs (ressources et espaces
naturels, information, économie des
connaissances, etc.) et celui des services à
la personne ou des services partagés qui
constituent pourtant les domaines
d’expansion essentiels de l’ESS. Si les
acteurs de l’ESS entendent jouer un rôle
stratégique dans le développement
durable et l’élaboration d’un nouveau
modèle de croissance, ils ne devraient pas
partager cette vision restrictive. Sans
entrer dans la querelle de la définition, on
peut considérer d’utilité sociale toutes les
activités
qui
contribuent
au
développement
durable
et
au
développement humain au sens que les
institutions internationales et les ONG
donnent à ces expressions. Elles ouvrent
une perspective mais ne délimitent pas un
champ.

La deuxième condition est inopérante
parce qu’elle n’est pas discriminante :
toutes les formes d’activité peuvent
contribuer au lien social et à la cohésion
territoriale, y compris lorsqu’elles sont
explicitement lucratives. Le dévelop-
pement exponentiel des démarches de RSE
auquel on assiste aujourd’hui dans des
entreprises de toute taille est là pour
l’illustrer.

Quant à la définition de l’innovation
sociale par l’article 3, elle nous paraît non
seulement restrictive mais surtout
dépassée. L’innovation sociale consisterait
à offrir des produits ou des services
correspondant à des besoins sociaux
émergents que ne pourraient satisfaire ni
le marché ni le service public et qui ne
pourraient être intégralement financés aux
conditions du marché. On retrouve là la
définition la plus traditionnelle d’un « tiers
secteur » situé « entre » le marché et
l’Etat. Cette partition du champ
économique en trois secteurs, le public, le
marchand et le tiers, correspond à la haute
époque de l’Etat-providence et des
Grandes Entreprises Nationales, mais
certainement pas aux modèles écono-
miques émergents du XXIème siècle. Le fait
qu’une innovation sociale débouche ou
non sur la création d’un marché n’est par
définition pas prévisible. La possibilité pour elle de trouver un financement peut
reposer sur une combinaison quelconque
de fonds publics, de capital-risque, de
mécénat ou de crowd-funding.

Exemple : l’organisation d’un système de
covoiturage sur un territoire à l’initiative
des entreprises est une innovation sociale
qui mixe du volontariat (l’adhésion au
système), de l’économie informelle (le
partage des frais par les covoiturants),
l’achat d’une prestation (le site internet qui
gère l’information) et la fourniture d’une
prestation gratuite par des acteurs publics
et privés (l’animation et la communication
sur le projet).

Contrairement à la common law, d’essence
contractuelle, il n’est pas dans la tradition
du droit public français de définir les
termes qu’il emploie. L’intérêt général et
l’utilité publique ne l’ont jamais été. La
notion d’utilité sociale elle-même figure
déjà dans la loi (article 19 quinquiès de la
loi du 10 septembre 1947 sur les
coopératives) sans définition préalable. Ces
notions floues sont nécessaires à la
vitalité et à la plasticité du droit, elles
doivent rester disponibles au débat public,
y compris lorsque celui-ci a lieu devant une
juridiction. Il nous semble que dans le cas
présent, elles comportent plus d’inconvénients que de bénéfices et qu’elles
affaiblissent l’ambition portée par le texte.

Reconnaissance
et institutionnalisation de l’ESS

Le chapitre II (articles 4 à 14) de l’avant-
projet de loi construit un dispositif
institutionnel de l’ESS comportant une
conférence nationale triennale (art.4), une
charte des entreprises de l’ESS (art.5), un
conseil supérieur de l’ESS (art.7 et 8), des
chambres régionales de l’ESS (art.9 et 10)
elles-mêmes dotées d’un conseil national
(art.12 à 14). Ce dispositif interroge
d’abord par son ampleur et donc par un
coût qui reposerait peu ou prou sur des
entreprises à l’équilibre financier déjà
fragile. Il ne semble en effet pas de saison
d’imaginer que l’Etat et les collectivités
territoriales pourraient financer larga manu un tel appareil. En second lieu, on
peut se demander si ces instances doivent
à toute force être créées par la loi. Le
projet ne prévoit d’ailleurs, à propos du
CSESS et des CRESS, qu’une sorte
d’adoubement conventionnel par l’Etat et
les Régions. Mais là n’est pas l’essentiel.

Le projet instaure en réalité un véritable
système de contrôle de l’ESS.

En voici le mécanisme :
- Le CSESS, organisme consultatif placé
auprès du ministre dont la composition et le
fonctionnement sont fixés par décret en
Conseil d’Etat, élabore une charte des
entreprises de l’ESS qui acquiert une valeur
réglementaire dès lors qu’elle est
homologuée par un arrêté ministériel (art.5).
- La charte définit une série d’engagements
pris par les entreprises adhérentes, sous
forme d’objectifs à atteindre, dans une vaste
série
de
domaines :
gouvernance
démocratique, participation des salariés à la
stratégie, territorialisation de l’activité et des
emplois, dialogue social, santé et sécurité au
travail, qualité des emplois, formation
professionnelle,
égalité
professionnelle
femmes-hommes,
lutte
contre
les
discriminations, développement durable. Elle
fixe aussi « les obligations des entreprises
adhérentes relatives à la mise à disposition
de données permettant d’apprécier les
conditions de mise en œuvre des
engagements pris » (art.5).
- Le CSESS concourt à l’évaluation de la
réalisation des objectifs de la charte (art.7).
- Les CRESS contribuent à la collecte, à
l’exploitation et à la mise à disposition des
données relatives aux entreprises de l’ESS,
notamment celles permettant d’apprécier
l’application de la charte (art.9).
- Le CNCRESS centralise les données dont
disposent les CRESS (art.12).
- La conférence nationale de l’ESS est saisie
du rapport du CSESS évaluant la réalisation
des objectifs de la charte (art.4).

Ce
dispositif
suscite
plusieurs
interrogations.

Les
« objectifs
à
atteindre » définis par la charte
ressortissent à deux catégories distinctes :
les uns (territorialisation, qualité des
emplois,
politique
de
formation,
développement durable) relèvent de la
stratégie propre à chaque entreprise, en
fonction de son métier, de sa taille, de ses
objectifs, de son environnement, etc. et se
prêtent mal à une consolidation et une
évaluation nationale, sauf à considérer les
entreprises de l’ESS comme les agences
d’une sorte d’établissement unique ; les
autres sont des obligations légales qui
relèvent du code du travail, s’appliquent à
toutes les entreprises et ne peuvent donc
être considérés comme de simples
objectifs à atteindre.

Le circuit de collecte des données
nécessaires à l’évaluation ressemble à s’y
méprendre au système de management
par indicateurs et tableaux de bord en
vigueur dans les grandes entreprises
depuis une vingtaine d’années et qui a
contaminé de secteur public et
l’administration, avec les dégâts collatéraux
que l’on connaît, depuis une dizaine
d’années et plus encore après le lancement
de la RGPP. Cette culture du reporting
paraît singulièrement décalée avec ce que
l’on sait des entreprises de l’ESS. Elle a en
outre un coût non négligeable en effectifs
et en temps passé. Elle a enfin sur la
gouvernance des effets particulièrement
délétères.

Se pose enfin la question du caractère
obligatoire ou facultatif dudit dispositif.
S’il est obligatoire, ce que laisse à penser
son
homologation
réglementaire,
l’adhésion des entreprises aux CRESS l’est
aussi, et celles-ci ne peuvent plus être des
associations
mais
deviennent
des
établissements publics analogues aux
chambres de commerce et d’industrie et
aux chambres de métiers. Or cette option
de la consularisation des CRESS a été
explicitement écartée par le Gouver-
nement. S’il est facultatif, ce que l’on peut
inférer de la notion d’entreprises
« adhérentes » à la charte, son caractère
dissuasif risque fort de plomber la capacité
fédératrice et d’animation des CRESS et par
conséquent leur capacité représentative.

Ce dispositif nous paraît donc proposer
une réponse inadaptée à l’objectif du
projet de loi qui est la reconnaissance de
l’ESS. Reconnaissance doit ici s’entendre
en un double sens : mesure de l’impact et
représentation dans les lieux de décision
économique et sociale. Nous pensons pour
notre part que l’ESS est la dimension
économique du fait associatif et qu’elle
repose sur les mêmes valeurs : liberté
d’initiative,
liberté
d’organisation,
volontariat et autonomie. C’est pourquoi
nous pensons que les CRESS et leur réseau
national doivent garder leur caractère
associatif, ce qui n’exclut évidemment pas
les relations conventionnelles avec les
pouvoirs publics. La charte de l’ESS peut
affirmer des valeurs et énoncer une vision
partagée mais les objectifs à atteindre ne
peuvent être définis que par chaque
entreprise, dans le cadre des critères qui la
qualifient comme entreprise de l’ESS.

Ajoutons que si charte il doit y avoir, il
faudrait éviter le brouillage avec la charte
d’engagements
réciproques
entre
pouvoirs publics et associations que le
Gouvernement a remis sur le métier. La
collecte des données et la mesure de
l’impact relèvent de l’évaluation au sens
scientifique du terme et non d’une
obligation de compte-rendu, laquelle
existe au demeurant au titre du code du
travail et des obligations comptables.

Diverses mesures
relatives aux associations

1) Définition de la subvention (art.22) : il
s’agit là d’une réponse à la demande
pressante
des
associations
d’une
relégitimation de la subvention face à la
généralisation des procédures d’appel
d’offres et d’appel à projets pratiqués par l’Etat et les collectivités territoriales. La
rédaction proposée comporte trois
éléments : la possibilité de financer aussi
bien un investissement, un projet, une
action
que
l’activité
globale
de
l’association ; l’initiative et l’autonomie de
mise en œuvre du bénéficiaire ; la
distinction d’avec la rémunération de
prestations demandées par le financeur.

On peut considérer que l’objectif de
sécurité juridique est ainsi atteint sans
restriction du champ de la subvention.
Il faut toutefois souligner que ce cadre
juridique n’aura d’effet utile que dans la
mesure où les associations développeront
leur capacité stratégique d’anticipation,
d’initiative et d’autonomie financière.

C’est en tout cas dans ce but que la Fonda
propose aux associations le développement d’une démarche prospective.

2) Révision de la reconnaissance d’utilité
publique (art.77) : la Fonda a déjà eu
l’occasion de se prononcer en faveur de
cette mesure, de sorte que la RUP ne
consiste pas seulement en une procédure
de sélection à l’entrée mais s’accompagne
d’une vérification périodique.

L’administration n’ayant pas les moyens de
procéder à celle-ci, on peut suggérer
d’appliquer à la RUP des associations
comme des fondations des dispositions
analogues à celles de l’article 40 du projet
de loi relatif à la révision coopérative,
notamment en ce qu’elles prévoient la
désignation d’un réviseur agréé, ce qui
permettrait d’appuyer cette révision sur les
méthodes d’audit développées par le
Comité de la Charte ou par IDEAS et
confiées à des bénévoles.

Les propositions de la Fonda
- Renoncer à la définition législative de l’entreprise d’utilité sociale et de l’innovation
sociale.
- Réduire le cadre législatif des institutions représentatives de l’ESS à l’obligation d’une
conférence triennale et à l’existence du conseil supérieur ; maintenir le cadre associatif des
CRESS et du CNCRESS.
- Coordonner la préparation du projet de loi et la révision de la charte d’engagements
réciproques entre les pouvoirs publics et les associations, notamment en ce qui concerne la
définition légale de la subvention.
- Faire de la charte de l’ESS un document de vision stratégique partagée entre les
composantes de l’ESS, fondement de sa reconnaissance politique, et non un cahier des
charges destiné à organiser un système de contrôle.
- Elaborer, dans le cadre d’une ordonnance de simplification, une réforme de la RUP et du
droit des fondations sur la base de critères renouvelés et d’un principe de révision analogue
à celui des coopératives.

[1C’est sur la version diffusée le 25 avril dernier que porte cette contribution de la Fonda.

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