Lutte contre la flambée des prix : des promesses qui n’engagent que ceux qui les croient

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Lutte contre la flambée des prix : des promesses qui n'engagent que ceux qui les croient

Fin février 2008, une étude providentielle sur les " prix qui flambent " [1], donne l’occasion au secrétaire d’Etat à la consommation Luc Chatel (par ailleurs candidat aux élections municipales de Chaumont en Haute-Marne) de vanter sa loi de décembre 2007 et le projet Lagarde de " modernisation de la vie économique " en préparation, à quelques jours des élections locales. Dans une vidéo qu’il diffuse lui-même sur internet (on n’est jamais mieux servi que par soi-même…), il s’offusque des hausses de prix épinglées (qu’il a d’ailleurs constatées lui-même en faisant ses courses - à Chaumont…). Un coup de gueule déterminé : " Il faut mettre de la liberté dans les relations commerciales. " et " rendre les négociations commerciales définitivement aux consommateurs ".
Nous allons donc pouvoir négocier avec Carrefour, Leclerc, Nestlé, Danone et les autres ?
Encore des promesses qui n’engagent que ceux qui les croient…

Si l’étude en question dénonce justement l’opacité des structures de prix, elle met particulièrement en avant quelques hausses de prix spectaculaires, comme l’ont relevé Libération et Arrêts sur images. A qui profite vraiment cette agitation, au moment du bras de fer de début d’année entre fournisseurs et distributeurs, au moment de la préparation du projet Lagarde par le gouvernement ? Et la loi Chatel, applicable en mars, ne jouerait-elle pas justement un rôle dans la hausse des prix moyenne ? Dans l’urgence de lutter contre la " flambée des prix ", une bonne occasion aussi de masquer les raisons historiques des prix plus élevés en France que dans d’autres pays de l’Union européenne : le contournement concerté et mafieux des lois destinées à freiner le développement de la grande distribution, sur fond de consommationnisme.

C’est à quelques jours du Grenelle de l’environnement, en octobre 2007, que les Français apprirent que le principe de précaution posait problème et qu’il fallait stimuler la concurrence par les prix pour redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs : le rapport d’étape de la " commission pour la libération de la croissance française ", présidée par Jacques Attali, faisait son entrée en scène. Le gouvernement engagea rapidement certaines mesures malgré quelques remous autour du fameux rapport. La nécessaire " croissance " et le " pouvoir d’achat " des Français (pour alimenter la croissance), que les débats du Grenelle avaient pu paraître mettre en danger, devaient rapidement supplanter l’urgence environnementale dans les préoccupations présidentielles, et rassurer les industriels de la production et de la distribution par une concrétisation rapide.

Dès décembre 2007, la loi Chatel " sur le développement de la concurrence au service des consommateurs " prétend - entre autres et à côté du recours aux ordonnances pour modifier le code de la consommation - " moderniser " les relations commerciales. Elle légitime les " marges arrière " [2] sans les remettre en cause, mais au contraire en les aggravant, servant ainsi les intérêts des industriels les plus puissants (qui d’ailleurs s’en félicitent). Elle autorise en outre l’ouverture des magasins de meubles le dimanche, grignotant encore un peu plus le droit du travail, et les parts de marché des commerçants de centre ville.

Mais la suite est déjà annoncée, avec un projet plus ambitieux " de modernisation de la vie économique " porté par la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi, Christine Lagarde. Ce volet complètera le démantèlement des lois Galland et Raffarin, après les lois du 2 août 2005 et du 20 décembre 2007. En particulier, il devrait rendre les tarifs commerciaux négociables (la loi Galland impose aux fournisseurs un tarif unique (par produit et par volume) pour tous les clients, de façon à protéger les acteurs les moins puissants). Il viserait également à réformer la loi Raffarin sur l’urbanisme commercial et ses conditions contraignantes d’ouverture ou d’agrandissement de magasins au-delà de 300 mètres carrés. Avec pour objectif de favoriser la concurrence par la multiplication des surfaces de vente, dans un pays déjà largement en tête pour les m² par habitant. Le ministre Luc Chatel a par ailleurs déjà annoncé " travailler de façon générale à un assouplissement du travail le dimanche ".

En réalité, c’est le jack-pot pour la grande distribution ! Avec la modification du seuil de revente à perte, la liberté de tarification, la liberté d’implantation et l’assouplissement des règles d’ouverture des magasins, elle restera bel et bien maître du jeu, encouragée à une pseudo guerre des prix et à développer ses points de vente. Seuls les plus gros industriels seront relativement en mesure de négocier. Et davantage de commerçants indépendants devront fermer boutique. Ce petit jeu risque fort d’aboutir à une concentration encore accrue côté production et côté distribution, tout en exacerbant les conséquences sociales et environnementales.

Au lieu de chercher à nous faire croire que plus de concurrence entre les industriels de la distribution et de la production bénéficiera aux consommateurs, il serait grand temps d’exposer les raisons qui ont conduit à l’échec des différentes lois et à la situation oligopolistique extrême de la grande distribution en France [3], avec un système de corruption quasiment mafieux et le laxisme des institutions.

Aujourd’hui, il suffirait que le gouvernement rende les puissants encore plus puissants et que les consommateurs comparent les prix, pour les faire baisser ? Qui croira à cette fable ?


Lire aussi " La concurrence au service des consommateurs ? " par Action Consommation, Attac et la Confédération paysanne :


[1" Les prix s’envolent ", dossier publié en mars 2008 par " 60 millions de consommateurs ", magazine de l’INC (Institut national de la consommation)

[2Les " marges arrière ", exception française, avaient été déployées par la grande distribution pour contourner l’interdiction de revente à perte (et la menace de chute des profits générés par l’effet publicitaire des prix d’appel) par la loi Galland en 1996. Elles consistent en une " refacturation " aux fournisseurs, par les distributeurs, de frais de " coopération commerciale " sous de multiples prétextes (mise en avant des produits, frais de catalogue, anniversaire du magasin,...). Ce système arbitraire de refacturations a généré artificiellement d’importantes augmentations de prix au consommateur et des marges éhontées pour la grande distribution. Aujourd’hui, c’est en permettant - mais sans en faire une obligation - à la grande distribution de prendre en compte les " avantages " ainsi obtenus des fournisseurs dans le calcul du seuil de revente à perte que le gouvernement prétend faire disparaître les " marges arrière ". Les grands distributeurs pourront surtout - grâce aussi à la possibilité de négocier les tarifs commerciaux avec les fournisseurs au cas par cas - redoubler les prix d’appel, outil commercial stratégique : ils servent d’appât pour attirer les chalands et de piège à consommer plus, dépossèdent les fournisseurs de la maîtrise de leurs prix et brouillent la perception des coûts réels des produits. Pour les distributeurs, un " îlot de pertes dans un océan de profits ".

[3Christian Jacquiau, "Les coulisses de la grande distribution", Albin Michel, 2000
Jean Bothorel et Philippe Sassier, "La grande distribution - enquête sur une corruption à la française", Bourin Editeur, 2005

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