Rares sont les médias qui prennent le temps, et le risque, d’écouter les invisibles, de les autoriser à dire tout simplement ce qu’ils sont. Il existe pourtant quelques niches, le plus souvent au sein du service public, où les accents lointains s’expriment sans filtres, sans sous-titres, où des vies profondes livrent leur vocabulaire ardent, même lorsqu’elles montrent des paysages infortunés, des abandons, des exils.
Périphéries, modeste parenthèse hebdomadaire, est l'un de ces refuges où l'on sent que la vie ne s'exprime pas à la troisième personne. «Périphéries», au pluriel, nous emmène depuis douze ans dans les marges inaudibles du monde sans la laisse de nos habituels chiens de garde. Cette émission est le repaire des sans voix et de leurs défenseurs : les centres d'hébergement d'urgence, les missions locales, les cités, les lieux de culture résistants, les maisons de quartier, les écoles de la seconde chance…
Périphéries n'a pas d'autre programme. Et l'on apprend, brusquement, que France Inter ne veut plus de ce programme. L'heure est politique. Après une campagne où un silence brutal a souvent étouffé la voix des quartiers populaires, de l'égalité des chances, de la vie associative, des handicaps ; à l'heure où l'on recouvre d'un voile de condescendance et de volontarisme cette société de la honte, on a envie, devant l'urgence, d'écouter l'une des chroniques d'Edouard Zambeaux, qui défend toujours les vies microscopiques.
Car Edouard Zambeaux est un fidèle. Durant toutes ces années, il n’a pas cédé aux urgences électorales, ni aux effets de mode. Il n’a pas préféré le brûlant. Infatigablement, il a tendu son micro en décalé, rassurant chaque interlocuteur sur le fait que sa parole n’était l’instrument de personne, le prétexte de rien. Il ne cherche pas à illustrer un propos, il veut nous aider à partir à la rencontre. Donner à voir, donner à vivre. Partager les territoires où l’auditeur curieux mais protégé de France Inter n’oserait peut-être pas s’aventurer. Faire connaître ce que les «acteurs de terrain» n’ont jamais le temps de revendiquer : qu’ils travaillent au sein d’une société marginale, certes, mais qu’ils y puisent le sens de leur vie.
Tous ceux qui lui ont ouvert leur porte, précaires ou établis, bénéficiaires ou directeurs, décrocheurs ou professeurs, patients ou soignants, se sont toujours reconnus dans le sujet réalisé. Ils n’ont jamais été trahis. Ils ont même souvent été fiers.
Aujourd’hui, surpris, inquiets, en colère aussi, nous nous demandons simplement sur quelles ondes, à quelle fréquence, nous pourrons à nouveau nous retrouver, nous rencontrer, nous, les gens de peu, les humanistes sans slogans et les chercheurs de réel.