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Les «Périphéries» disparaissent de l’antenne de France Inter

La radio publique a supprimé son émission hebdomadaire de quinze minutes, programmée le vendredi en fin de journée, qui chaque semaine donnait la parole aux sans-voix et à leurs défenseurs.
par un collectif
publié le 21 juin 2017 à 14h42

Rares sont les médias qui prennent le temps, et le risque, d’écouter les invisibles, de les autoriser à dire tout simplement ce qu’ils sont. Il existe pourtant quelques niches, le plus souvent au sein du service public, où les accents lointains s’expriment sans filtres, sans sous-titres, où des vies profondes livrent leur vocabulaire ardent, même lorsqu’elles montrent des paysages infortunés, des abandons, des exils.

Périphéries, modeste parenthèse hebdomadaire, est l'un de ces refuges où l'on sent que la vie ne s'exprime pas à la troisième personne. «Périphéries», au pluriel, nous emmène depuis douze ans dans les marges inaudibles du monde sans la laisse de nos habituels chiens de garde. Cette émission est le repaire des sans voix et de leurs défenseurs : les centres d'hébergement d'urgence, les missions locales, les cités, les lieux de culture résistants, les maisons de quartier, les écoles de la seconde chance…

Périphéries n'a pas d'autre programme. Et l'on apprend, brusquement, que France Inter ne veut plus de ce programme. L'heure est politique. Après une campagne où un silence brutal a souvent étouffé la voix des quartiers populaires, de l'égalité des chances, de la vie associative, des handicaps ; à l'heure où l'on recouvre d'un voile de condescendance et de volontarisme cette société de la honte, on a envie, devant l'urgence, d'écouter l'une des chroniques d'Edouard Zambeaux, qui défend toujours les vies microscopiques.

Car Edouard Zambeaux est un fidèle. Durant toutes ces années, il n’a pas cédé aux urgences électorales, ni aux effets de mode. Il n’a pas préféré le brûlant. Infatigablement, il a tendu son micro en décalé, rassurant chaque interlocuteur sur le fait que sa parole n’était l’instrument de personne, le prétexte de rien. Il ne cherche pas à illustrer un propos, il veut nous aider à partir à la rencontre. Donner à voir, donner à vivre. Partager les territoires où l’auditeur curieux mais protégé de France Inter n’oserait peut-être pas s’aventurer. Faire connaître ce que les «acteurs de terrain» n’ont jamais le temps de revendiquer : qu’ils travaillent au sein d’une société marginale, certes, mais qu’ils y puisent le sens de leur vie.

Tous ceux qui lui ont ouvert leur porte, précaires ou établis, bénéficiaires ou directeurs, décrocheurs ou professeurs, patients ou soignants, se sont toujours reconnus dans le sujet réalisé. Ils n’ont jamais été trahis. Ils ont même souvent été fiers.

Aujourd’hui, surpris, inquiets, en colère aussi, nous nous demandons simplement sur quelles ondes, à quelle fréquence, nous pourrons à nouveau nous retrouver, nous rencontrer, nous, les gens de peu, les humanistes sans slogans et les chercheurs de réel.

Signataires : Arslan Leyla, chercheuse ; Amokrane Salah, Tactikollectif ; Aubert Véronique, théâtre de la commune d’Aubervilliers ; Bacqué Marie-Hélène, Urbaniste ; Bardeau Frédéric, président Simplon.co ; Blanchard Pascal, historien; Bordet Joëlle, chercheuse ; Bouchain Patrick, architecte; Broux Nathalie, enseignante 93 ; Brugère Fabienne, philosophe; Casanova Vincent, enseignant Microlycée 93 ; Cazade Stephen, Codirecteur Synlab ; Chauteret Elise, auteure, metteure en scène; Colombier Renaud, urbaniste ; De Cock Laurence, historienne ; Dendoune Nadir, journaliste écrivain ; Desplechin Marie, écrivain;  Didi Réda, fondateur Graînes de France ; Dulin Antoine, vice-Président du Cese ; Dumont Françoise, présidente de la Ligue des droits de l’Homme; El Hout Khalid, président de Justice pour le petit Bard ; Grand Corps Malade, auteur; Gustave Steevy, producteur de Grand Corps Malade, slameur et poète ; Hamadi Nora, journaliste ; Hammouche Saïd, président/fondateur, Mozaik RH ; Kirszbaum Thomas, sociologue; Jardin Alexandre, écrivain ; Kuhn Thierry, président Emmaüs France ; Lapeyronnie Didier, sociologue ; Laville Jean-Louis, sociologue ; Le Blanc Guillaume, philosophe ; Marchal Sophie, enseignante Microlycée 93 ; Mechmache Mohamed, porte-parole AC le Feu, fondateur du collectif Pas sans nous ; Meirieu Philippe, professeur en sciences de l’éducation ; Menard Nathalie, présidente de l’Afev ; Michel Emmanuel, délégué général de Coexister; Moro Marie-Rose, professeure en pédopsychiatrie; Mucchielli Laurent, directeur de recherche CNRS ; Pairault Frédérick, délégué général Anacej ; Perriot-Morlac Valérie, théâtre de la commune d’Aubervilliers ; Peugny Camille, maîtresse de conférences Paris-8 ; Pliez Eric, directeur général de l’association Aurore; Portelli Serge, magistrat ; Rachmuhl Virginie, responsable programmes urbains au Gret ; Renaudin Thibault, président de La Zone d’expression prioritaire; Richez Jean-Claude, chercheur ; Rokhaya Diallo, auteure ; Ruty Erwan, MédiaLab93 ; Santaki Rachid, auteur, cofondateur de la Dictée des idées ; Sicart Claude, président LePoleS ; Trellu-Kane Marie, présidente Unis-Cité; Viveret Patrick, philosophe.
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