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Le méthane agricole, un nouvel agro-business ?

En Champagne-Ardenne, Didier Forget produit de l'électricité à partir du lisier et du fumier de ses vaches. Extraordinaire pour les uns, ce dispositif est décrié par d'autres.

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Publié le 12 septembre 2013 à 18h00, modifié le 14 mars 2014 à 17h10

Temps de Lecture 6 min.

Cuve de stockage du digestat, ce qu'il reste des excréments et produits fermentés après la méthanisation. Il sert comme engrais naturel (à Viviers-au-Court dans les Ardennes).

Tous les jours, Didier Forget nourrit son digesteur comme il nourrit ses vaches. Un cocktail végétal d'herbe, de résidus de céréales, d'oignons et de betteraves. Sauf qu'il ne servirait certainement pas à son troupeau le lisier et le fumier que l'appareil, lui, digère très bien.

Dans le ventre de cette vaste cuve circulaire, les bactéries issues des excréments des vaches travaillent, dévorent, transforment le mélange qui fermente. A la surface, de petites bulles apparaissent, libérant du méthane.

A l'air libre, cette fermentation serait lourdement polluante, le méthane étant un gaz à effet de serre puissant. Confinée dans un digesteur, elle offre une solution mêlant recyclage et énergies renouvelables : le gaz combustible alimente un générateur d'électricité. Lorsqu'il en parle, Didier Forget a les yeux qui pétillent : "Quand on voit ça, c'est extraordinaire."

Jean Mineur, exploitant à Etrépigny, devant ses cuves de méthanisation. Les bâches sont gonflées par le gaz produit lors de la fermentation.
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Cet éleveur laitier d'une cinquantaine d'année croyait sa carrière terminée quand, en 2003, il a été exproprié d'une partie de ses terres à Vivier-au-Court près de Charleville-Mézières. La méthanisation – la récupération du gaz naturel issu de cette fermentation – lui a offert une manière de "rebondir" et une autre vision de son métier d'éleveur. Depuis, il produit près de 2 millions de kilowatt heures d'électricité par an qu'il vend à EDF. Il chauffe également ses bâtiments agricoles avec le gaz produit.

A quelques dizaines de kilomètres, à Clavy-Warby, Sylvie Di Gracia et Antoine Oudet envisagent, eux, de fournir six maisons en chauffage au gaz naturel avec un système similaire. Jean Mineur, installé à Etrépigny, s'appuie, lui, sur ce procédé pour orchestrer sa conversion en agriculture biologique. La taille de ces élevages est de l'ordre d'une soixantaine de têtes.

DE L'ENGRAIS MAISON

La récupération du biogaz issu de la fermentation procure de nombreux avantages, notamment celui de pouvoir utiliser le "digestat", les résidus de fermentation, comme engrais pour fertiliser les champs. Jean Mineur a depuis arrêté d'utiliser de l'engrais chimique. Didier Forget dit en mettre "beaucoup moins".

Les voisins aussi apprécient : "il est beaucoup moins odorant que le lisier qu'on épand autrement", répètent les agriculteurs. L'immense cuve de stockage de digestat de Didier Forget est ainsi ouverte à l'air libre, sans émanation pestilentielle.

Depuis 50 ans, l'United States Meat Animal Research Center mène, avec l'argent du contribuable, des recherches « accroître l'efficacité » des vaches ou des moutons. Une enquête du New York Times dévoile son fonctionnement et les expériences pour le moins choquantes menées sur les animaux.

L'activité devient par ailleurs de plus en plus intéressante financièrement. Le prix d'achat par EDF de l'électricité produite peut aujourd'hui monter jusqu'à 20 centimes du kWh. C'est deux fois plus que lorsque Sylvie Di Gracia et Antoine Oudet se sont lancés en 2005. Ils étaient alors les deuxièmes en France à monter un tel projet.

Aujourd'hui, la France compte une centaine d'unités de méthanisation "à la ferme", dont sept en Champagne-Ardenne, région pilote pour ce dispositif.

PRIMES ALLÉCHANTES

En près de dix ans de pratique (l'installation de la première unité de méthanisation agricole date de 2002), l'opération est devenue de plus en plus intéressante financièrement. En mars, le gouvernement a annoncé une hausse des tarifs d'achat de l'électricité, adossée à une modification des primes afin d'encourager ce procédé et agrandir le parc de méthaniseurs français, agricoles et non-agricoles.

Lire (édition abonnés) : Article réservé à nos abonnés Le gouvernement pousse l'agriculture française à développer la méthanisation

Aujourd'hui, Jean Mineur a évalué les bénéfices de cette installation à un tiers de son chiffre d'affaires. Didier Forget estime lui qu'elle rapporte autant que l'élevage laitier. Un investissement coûteux, mais qui peut s'avérer rentable, à tel point que certains redoutent les excès d'une pratique qui pourrait devenir une fin en elle-même, et non plus un procédé complémentaire de l'activité d'élevage.

Le lisier est directement récupéré dans l'étable et conduit dans un mélangeur où il est combiné avec différentes matières végétales avant d'être conduit en fermentation.

C'est notamment ce que craignent les opposants à un projet de ferme industrielle dans la Somme. L'installation, surnommée la "ferme des mille vaches", prévoit un élevage d'un millier de laitières adossé à un méthaniseur d'une puissance de 1,3 mégawatt, largement supérieure à la moyenne française (220 kilowatts). "Le risque c'est que l'élevage laitier devienne un sous-produit de la méthanisation", redoute Laurent Leray, secrétaire national chargé de l'élevage à la Confédération paysanne.

"Dans ce projet, l'unité de méthanisation sert surtout de caution écologique à un élevage industriel", juge Christian Couturier, directeur du pôle énergie de Solagro, association d'ingénieurs qui accompagne les agriculteurs vers des pratiques plus durables. 

 Le gaz produit alimente ensuite des habitations en chauffage. L'électricité issue de sa combustion est vendue à EDF.

D'autres dérives existent à l'étranger. En Allemagne, près de 800 000 hectares de maïs seraient aujourd'hui destinés uniquement à la méthanisation, selon le ministère de l'agriculture français. Une culture qui a le mérite d'être fortement méthanogène, beaucoup plus que le lisier des bovins, et donc plus productive et plus rentable. Mais avec ces terres arables destinées à la production d'énergie, on s'éloigne de l'adage cher à l'agriculture française, qui veut "nourrir la planète".

DES PRAIRIES DÉDIÉES À LA PRODUCTION D'ÉNERGIE

Cette limite, les agriculteurs ardennais la connaissent, et admettent, parfois, flirter avec. Tout est dans le menu du digesteur. "On ne peut pas se contenter du lisier et du fumier", explique Jean Mineur. Dans la recette du jour, Antoine Oudet a mis deux tonnes de fumier, trois mètres cube de lisier, 1,5 tonne de cultures mise à l'ensilage, une tonne d'oignons et une tonne de déchets de moisson.

Aujourd'hui, ils achètent les "ingrédients" qui leur manquent, souvent des ressources agricoles invendables comme, par exemple, des oignons mal calibrés. Mais Didier Forget regarde aussi vers les prairies où paissent ses vaches. L'herbe y pousse naturellement, un avantage des prairies ardennaises. "Jusque-là on n'y coupait l'herbe que deux fois par an, on le fait trois fois maintenant." Une troisième coupe directement dédiée à la méthanisation.

Les issues de céréales (blé, orge, maïs) sont fortement méthanogène et ajoutées au lisier et au fumier, rendent le processus de fermentation plus efficace pour produire du gaz.

L'agriculteur le reconnaît, "c'est une question de philosophie : est-ce normal de mettre de l'herbe dans le digesteur alors que la prairie peut servir à nourrir les vaches, et donc la planète ?" Il rappelle aussitôt les antécédents des biocarburants : "on l'a bien fait avec le blé et la betterave, que les hommes mangent directement, pour faire de l'éthanol. Alors que l'herbe, on ne la mange pas, nous."

APRÈS LES VACHES, NOURRIR DES BACTÉRIES

Un choix contre lequel Jean Mineur s'inscrit en faux : "Il faut que cela reste complémentaire de notre activité, notre métier à nous c'est l'agriculture." "Pour le moment, la France freine des quatre sabots contre cette pratique", observe cependant Didier Forget.

La méthanisation n'est subventionnée que si l'utilisation des effluents d'élevage (lisier et fumier) est supérieure à 20 % dans le mélange à méthaniser, et l'incitation financière est portée à son maximum quand elle dépasse 60 %. "Aujourd'hui, les effluents constituent l'essentiel des matières digérées, indique Audry Croenne, chargé de mission bioénergie pour la chambre d'agriculture de l'Aube. Même si certains agriculteurs produisent quelques cultures énergétiques pour compléter."

Didier Forget n'exclut ainsi pas de voir la méthanisation comme une activité à part entière, parallèlement à son élevage. "Nous sommes des touche-à-tout, pas que des éleveurs", estime-t-il. Dès qu'il en a eu l'occasion, il a augmenté la puissance du moteur de son méthaniseur, passée de 150 à 250 kW, et rêve à présent de pouvoir développer davantage cette activité, en vendant, par exemple, le digestat comme engrais, ce qui n'est pas encore autorisé en France mais l'est notamment en Belgique.

Il invoque l'avantage de cette activité financière stabilisante dans une agriculture soumise aux fluctuations du cours du blé ou des productions de lait. "EDF fixe les tarifs d'achat sur quinze ans", rappellent à l'unisson les agriculteurs, qui accueillent avec soulagement cette garantie de revenu annuel qui permet aussi d'investir, tout en restant dans leur "cœur de métier", insiste Didier Forget. "Avant, on nourrissait des vaches. Maintenant, on nourrit aussi des bactéries."

La méthanisation est d'abord un principe de recyclage de déchets en énergie qui peut s'avérer lucratif.
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