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Entreprise

Chômage, Smic, ISF, fonctionnaires... Les 4 vérités du patron du Medef Pierre Gattaz

INTERVIEW EXCLUSIVE Le patron des patrons se lâche et trouve qu’en France "on a tout mis à l’envers". Voici ce qu'il propose pour que la France connaisse une véritable "révolution culturelle". 
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Pierre Gattaz
Pierre Gattaz.
Marc Bertrand pour Challenges

Pierre Gattaz est chaud bouillant. Il n’en peut plus des postures, de la "commedia dell’arte" et des "totems" qui paralysent le dialogue social. "C’est insupportable", poncturera-t-il à différentes reprises dans l’entretien qu’il réserve à Challenges, au lendemain d’une saillie bien calibrée à l’Institut de l’entreprise, le 16 avril : "En France, on est surdoué, mais on glande", avait-il lancé pour le 40e anniversaire de l’institut patronal.

Déçu de l’impact du pacte de confiance qu’il avait lui-même proposé au gouvernement, houspillé par sa base qui l’a élu pour qu’il soit un président du Medef "de combat", énervé par des partenaires sociaux archéos, le patron des patrons se lâche, et trouve qu’en France "on a tout mis à l’envers". Sur le double discours gouvernemental, le smic jeunes, l’indemnisation du chômage, le Code du travail, l’ISF, la fiscalité, le statut des fonctionnaires… Gattaz veut une "révolution culturelle". Voici les quatre vérités d’un dirigeant impatient.

Découvrez les principales propositions de Pierre Gattaz sur :

- L'aide aux entreprises

- Le chômage

- Le marché du Travail

- La fiscalité

- Les fonctionnaires et les dépenses publiques

 

Pourquoi le Pacte entre les patrons et le gouvernement ne donne-t-il pas de résultats ?

Il y a des résultats, on constate déjà une amélioration du taux de marge, et les branches ont eu des discussions sur l’emploi.  Mais les entrepreneurs n’ont toujours pas confiance, notamment dans la stabilité fiscale. Ils voient les débats au PS sur le pacte de responsabilité, qui envisagent de remettre en cause une partie des allègements pour les entreprises.

Le Pacte a pourtant été confirmé à maintes reprises par l’exécutif…

Dans les discours, il y a un virage entrepreneurial, c’est vrai. Mais l’exécutif  donne l’impression d’hésiter. Manuel Valls a fait une déclaration d’amour aux entreprises en août mais il a sorti un décret sur la pénibilité en octobre, qui leur a imposé d’énormes contraintes. Le discours sur le thème « on a trop donné aux entreprises et elles ont distribué des dividendes » revient régulièrement. C’est absurde. Il faut faire une révolution culturelle.

De quelle révolution parlez-vous ?

Arrêtons de voir les entreprises comme des exploiteurs du peuple. Nos marges sont à 29 % contre 40 % en Allemagne, ce qui explique pourquoi on investit et on embauche plus outre-Rhin. On a tout mis à l’envers : c’est l’entreprise qui crée de la richesse, pas la fonction publique, contrairement à ce que pensent certains ministres et parlementaires. D’ailleurs les sondages révèlent que les Français mettent l’entreprise comme première institution crédible pour redresser le pays.

Redresser le pays, n’est-ce pas d’abord en finir avec le chômage ?

Il y a un million de personnes au chômage de longue durée et un million bénéficiant du RSA, très loin de l’entreprise et de l’emploi. Or, dans certains secteurs, il y a des pénuries : chez Radiall, j’ai besoin d’usineurs ou de fraiseurs et je n’en trouve pas. Je préconise de créer des contrats de professionnalisation « sur-mesure », en permettant aux entreprises d’embaucher ces personnes à 80 % du Smic comme c’est la règle pour les moins de 26 ans et de les former pour un retour à l’emploi durable. L’entreprise les formerait pendant une durée de 18 à 24 mois, un investissement lourd. Et leur rémunération devrait être complétée par l’indemnité chômage ou le RSA pour atteindre le Smic.

Généraliser ce type de contrat, c’est verser un salaire inférieur au Smic…

Non, on utilise le cadre existant des contrats de professionnalisation, qui assure formation et emploi.  S’agissant du totem du Smic, regardons comment font les Allemands, les Anglais ou les Hollandais. Par exemple, aux Pays Bas la rémunération est inférieure au salaire minimum pour les jeunes. Et le taux de chômage y est très inférieur au nôtre.

Faut-il toucher aux les indemnités chômage ?

Le dernier accord sur l’assurance chômage, signé avec les syndicats, n’est pas abouti. On a réalisé 800 millions d’économies par an mais ce n’est pas suffisant. Il faut s’occuper des gens en vraie difficulté mais aussi s’attaquer à ceux qui abusent du système du système, qui se mettent au chômage de façon opportuniste. Et il y en a.

Faut-il introduire la dégressivité des allocations ?

 Pourquoi pas, ou revoir les durées et conditions d’indemnisation comme l’ont fait de nombreux pays, notamment l’Allemagne. Et sanctionner les chômeurs qui refusent plusieurs fois un job correspondant à leurs qualifications. Il n’y a pas assez de différence entre le salaire et l’indemnité chômage. La dégressivité est un moyen. Ce n’est pas le seul, il faut en discuter avec les partenaires sociaux. Mais c’est aussi un sujet totem.

Pourquoi n’a-t-on pas le droit d’en parler ?

Nous sommes en France… On n’a pas le droit de parler de la suppression de l’ISF, des 35 heures ou du Smic. Nous sommes dans la commedia dell’arte, la défense des postures, des dogmes et des appareils. Il faut arrêter de raconter du baratin et tenir un discours de vérité.

Quelle est votre « discours de vérité » en matière de marché du travail ?

La priorité est de lever la peur de l’embauche notamment chez les patrons de TPE - PME. Je propose un CDI sécurisé. Lorsqu’un patron d’une petite entreprise va aux prud’hommes, c’est fini, il n’embauche plus. Il faut donc clarifier le contrat de séparation en prévoyant des causes réelles et sérieuses: si le chiffre d’affaires, ou le résultat d’exploitation stagnent ou baissent, l’employeur doit pouvoir rompre le contrat. Ensuite, il faut plafonner les montants d’indemnisation en cas de séparation. Aujourd’hui, aux prud’hommes, c’est le coup de dé. Et il n’y a pas de plafond.

Pourquoi considérez-vous notre modèle social comme dépassé ?

Le modèle social français, c’est un embrouillamini épouvantable qu’il faut simplifier drastiquement et adapter aux enjeux d’aujourd’hui. Avec dix couches : du contrat de travail jusqu’à l’OIT en passant par l’accord d’entreprise, de branche, le code du travail,… Il faut simplifier et donner à l’accord d’entreprise la primauté sur le reste. Par exemple, si le chef d’une entreprise en situation délicate veut faire travailler ses salariés 40 heures, il doit pouvoir le faire s’il y a un accord avec les syndicats.

Quel est le problème avec le code du travail ?

Il faut considérablement l’alléger. Il fait 3 500 pages alors que le code suisse, par exemple, en totalise 80. Soit autant que le document rassemblant les seules modifications de notre code du travail en 2013 ! Ce code exprime tous les cas de figure les plus tordus, les plus exceptionnels Il faut s’y attaquer avec une détermination churchillienne ou gaullienne.

Quelles sont vos idées pour réformer notre fiscalité ?

Notre fiscalité est instable, souvent punitive et très compliquée. Je préconise une grande simplification, en instaurant une flat tax, un impôt proportionnel qui impose les contribuables au même taux. Le modèle de la flat tax, c’est la CSG. Un impôt très efficace qui rapporte 92 milliards d’euros par an et sans niche fiscale.

N’est-ce pas remettre en cause l’impôt sur le revenu, qui est un impôt progressif ?

Pour l’instant, personnellement, je propose d’étendre cette flat tax le plus possible, seulement pour  l’impôt sur les sociétés ou celui sur les plus-values, pour lequel il existe de nombreuses dispositions selon la durée de détention des titres, le type d’actionnaire… Il faut tout imposer au même taux pour simplifier et donner de la visibilité à l’impôt.

Demandez-vous toujours la suppression de l’ISF ?

Oui. D’abord le taux à 1,5 % a été institué quand l’inflation était à 15 %. C’est dix fois moins maintenant ! Et puis, en France, on a trop l’habitude de créer un poison puis d’essayer d’en limiter l’effet. Pour l’ISF, on a créé la loi Dutreil qui permet aux associés et actionnaires de limiter leur montant d’ISF, ce qui est bien. Mais on perpétue la complexité, au lieu de faire comme nos voisins qui ont quasiment tous supprimé l’ISF. Il n’y a plus que l’Irlande et nous qui avons cet impôt en Europe.

Acceptez-vous la suppression des niches fiscales des entreprises?

Absolument. Je l’ai dit à Pierre Laurent, le secrétaire national du PC, qui critiquait les soit disant 200 milliards d’euros d’aides ou exonérations des entreprises : gardez votre argent ! Mais baissez les impôts et les charges du même montant. La seule niche à laquelle il faut faire très attention, c’est le crédit d’impôt recherche. Elle est efficace et permet d’avoir un avantage concurrentiel par rapport à d’autres pays.

Vous appelez à une baisse drastique des dépenses publiques. Quelles sont vos propositions?

Le Medef a applaudi l’opération de simplification menée par le tandem Thierry Mandon-Guillaume Poitrinal. Mais il faut aller plus loin. D’abord en imposant le principe anglais du « one in, two out » : à chaque loi créée, supprimons en deux. Ensuite, il faudrait affecter entre 5 et 10 % des fonctionnaires à la simplification, à l’évaluation de l’utilité des lois…

500.000 fonctionnaires pour simplifier, c’est astronomique…

Pas en incluant la dimension locale. Il faut mettre le paquet pour simplifier nos 85 codes et 400 000 normes. Et remettre à plat tout le process et l’efficacité des postes de travail de la fonction publique, comme dans les entreprises. Certaines administrations n’utilisent même pas 30 % des papiers demandés aux entreprises. Nous allons donc proposer à François Hollande qu’il nomme un binôme chef d’entreprise-haut fonctionnaire dans chaque ministère et chaque administration pour réaliser ce travail.

Voulez-vous supprimer le statut de fonctionnaire ?

Dans un premier temps, nous proposons de le supprimer pour les hauts-fonctionnaires, par exemple les énarques, en faisant la différence entre les fonctions régaliennes et les autres. Cela améliorerait la fluidité entre le public et le privé. Les énarques devraient aussi faire des stages obligatoires de six mois en entreprise. Les patrons sont des paranoïaques de la survie. Cet aiguillon n’existe pas au sommet de l’Etat.

Dans votre manifeste pour créer un million d’emplois, vous demandez  une baisse du coût du travail, de l’énergie, de la fiscalité, des taux et de l’euro. Tout a baissé mais les entreprises ne créent pas d’emplois. Pourquoi ?

Le coût du travail et de la fiscalité commencent à baisser grâce au pacte de responsabilité, mais seulement depuis quelques mois. C’est très lent. En 2014, seulement 6 à 7 milliards d’euros du CICE ont été perçus par les entreprises. Le pacte devrait avoir des effets sur l’emploi seulement d’ici deux à trois ans. Il faut du temps. Les chefs d’entreprise reconstituent leurs marges doucement : certains vont baisser les prix, d’autres vont investir ou commencer à embaucher.

Mais la baisse simultanée de ces coûts est inespérée…

Vous avez deux types d’entreprises : celles qui exportent, et là l’impact de la forte baisse de l’euro est important, comme dans ma société, Radiall, qui exporte  85 % de sa production. Mais il y a aussi toutes les PME et TPE qui n’exportent pas et qui ne sont pas de grosses consommatrices d’énergie. Elles sont toujours dans la nasse. Cela m’inquiète.

Une quarantaine de branches n’ont pas signé d’accords en contrepartie des allègements de charges. Comment expliquer cet échec ?

Il est abusif de parler d’échec. Mais je ne suis pas favorable à ces contreparties. Quand on baisse les impôts des ménages, on n’en demande pas. On doit faire confiance aux gens, sans leur mettre des élastiques de rappel. Ensuite, le Medef a accepté de jouer le jeu, après avoir signé un accord avec la CFDT et la CFTC. Mais les trois autres ne l’ont pas accepté. Et quand vous avec ces trois syndicats face à vous dans les branches, cela ne marche pas. Malgré tout, une quinzaine de branches, qui représentent les deux tiers des salariés du MEDEF, ont signé et les autres continuent leurs discussions.

Propos recueillis par Vincent Beaufils, Thierry Fabre et Léa Lejeune.

 

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